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« Je disais donc qu’il est charmant de souper avec sa maîtresse, que le repas à deux est un acte tout particulier de foi amoureuse, et que les plus raffinés sur le sentiment doivent confesser cette vérité. Jamais je n’avais eu ces pensées aussi vivement que ce soir-là. Je prenais à la servir une joie indicible, et de temps à autre, après avoir mis un morceau dans son assiette ou rempli son verre, je m’oubliais à la regarder, ou bien je saisissais sa main par-dessous la table et je déposais sur ses doigts un long baiser. De quel incroyable bonheur alors je me sentais rempli ! quelle immense tendresse me suffoquait délicieusement ! Il me semble, lui disais-je, quand par hasard j’avais besoin de parler, que tu es ma femme, ma vraie femme. Tu me donnes des joies dont je n’avais pas l’idée. J’adorais chacun de ses regards, j’admirais chacun de ses gestes. Par momens, je me levais comme un fou, obéissant à un élan subit, souffle doux et embrasé qui s’élevait dans mon cœur ; tout à coup je courais à elle et j’appuyais ma bouche sur ses cheveux. Puis je retournais m’asseoir en face d’elle et reprendre possession par mes yeux de toute sa grâce, de toute sa jeunesse, de toute sa beauté.

« Que me disait-elle ? Voilà, n’est-ce pas ? ce qui pique votre curiosité ? Elle me disait des choses que je serais bien embarrassé de vous transcrire, mais qui me semblaient ravissantes, tout imprégnées d’un parfum nouveau et pénétrant. Elle m’expliquait à sa manière ce qui l’entraînait vers moi. Sa chère parole me faisait songer à l’enfant que l’on prend dans ses bras, et que l’on couvre de baisers quand il trébuche. Chaque hésitation de son langage était le signal d’une caresse dans mon cœur. Notre repas fini, je m’accoudai avec elle sur ma fenêtre. Après avoir regardé tour à tour les profondeurs de mon jardin, un ciel paré pour des fêtes nuptiales et l’être adoré gracieusement incliné près de moi, je me sentis dans un de ces instans remplis d’une exquise, d’une adorable émotion, qui pourtant ressemble presque à de l’effroi, où l’homme voit passer devant lui en tremblant la vision fugitive du bonheur.

« Elle comprit ce qui se passait en moi. Une larme électrique qui brilla tout à coup dans mes yeux éveilla une autre larme sous sa paupière, et dans toute sa personne un long frisson. Elle saisit ma main, et, par un mouvement d’une soumission passionnée, qui pourtant avait une grâce souveraine, elle la porta malgré moi à ses lèvres. C’est donc vrai, m’écriai-je, que tu m’aimes ? — Ah ! fit-elle en relevant la tête et offrant à la clarté des étoiles un visage que le pinceau d’aucun maître ne m’avait montré, puisse le ciel faire un miracle qui te permette de lire en moi ce que je sens, ou qui m’accorde le don de te le dire !

« Le miracle était fait. Oui, je croirai désormais à ce que j’avais toujours repoussé avec une superbe dont je suis honteux et indigné