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correctement la langue de son art ; mais entre un artiste de cette sorte et un maître la distance ne reste pas moins grande qu’entre un versificateur et un poète. Aussi en est-il des écrits qu’il a laissés comme de ses autres œuvres : ils ne sauraient être consultés avec fruit qu’à titre de renseignemens techniques. Ne cherchez pas dans son Traité de l’Orfèvrerie ces vives lueurs qui éclairent çà et là les livres didactiques de Leone Battista Alberti ou les Lettres de Poussin : vous n’y trouverez, à côté de beaucoup de détails sur ses succès personnels et sur ses aventures en tout genre, que des préceptes fort étrangers à l’esthétique. Cellini se contente de nous faire part des moyens de fabrication qu’il a éprouvés, et le plus souvent perfectionnés. Ses confidences peuvent être utiles aux hommes du métier, intéresser même d’autres lecteurs, parce qu’elles révèlent l’état de l’industrie italienne au XVIe siècle ; mais celui qui les a écrites se montre ici tel qu’il nous apparaît comme artiste, et, pas plus que son burin ou son ciselet, sa plume n’est en mesure de répandre des enseignemens hautement profitables, ni des exemples vraiment féconds.

Le rôle de Benvenuto Cellini en tant qu’orfèvre relève donc du métier plus immédiatement que de l’art. Son talent de sculpteur et les préceptes qu’il donne sur la statuaire tendent-ils à démentir l’opinion que nous venons d’exprimer ? En interrogeant les travaux qui ont rempli la seconde moitié de sa carrière, il sera facile de reconnaître ce qu’il y a au fond d’impuissance sous ces nouveaux dehors d’autorité, et quelle insuffisance d’imagination, de sentiment, de science même, cachent ces faux chefs-d’œuvre, admirés en général un peu trop sur la foi de l’auteur.


II

« Afin de bien établir mon crédit et d’inspirer une pleine confiance à quiconque lira ce livre, dit Cellini au début de son Traité de la Sculpture, je mentionnerai tout de suite les grands ouvrages en bronze que j’ai exécutés dans la célèbre ville de Paris pour l’illustre roi François Ier. Et plus loin : « es vieux maîtres (ceux qu’il avait rencontrés ici) bénissaient le jour et l’heure où ils m’avaient connu. »Quoi de plus clair ? Au tl’on dont Cellini affirme ses talens et ses services, on doit croire que nous avons affaire à l’un des princes de l’art, et qu’il n’y a pas à discuter les titres d’un homme aussi sûr de son fait. Si l’on s’avise pourtant de contrôler l’importance qu’il se donne par l’examen de ses œuvres mêmes, on trouvera un orgueil passablement déplacé dans ces façons de grand seigneur, et sous ce fier langage un large fonds de hâblerie. Et d’abord