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contre un homme que chacun accusait hautement de présomption et de folie. Cellini cependant prenait sans se déconcerter les dernières mesures, et, le jour venu qui devait faire de lui un novateur heureux ou une dupe de son propre entêtement, il se met à l’œuvre, non sans avoir épuisé dans les préparatifs de cette opération suprême ce qu’il appelle « toutes les forces de son corps et de sa bourse. »

Nous l’avons dit, Cellini a raconté deux fois, — dans sa Vie et dans son Traité de la Sculpture, — ses efforts pour assurer la réussite d’une entreprise qui allait décider de sa gloire, ses angoisses pendant l’opération, et enfin le succès obtenu à l’heure même où la défaite paraissait certaine. Il serait superflu d’insister beaucoup ici sur l’épisode le plus connu en général de la vie de Cellini ; mais il est impossible de ne pas reproduire au moins quelques traits d’un récit qui, toute proportion gardée entre les deux, artistes, rappelle l’énergique tableau tracé un peu plus tard, et dans un cas à peu près pareil, par notre Bernard Palissy.

Tout est prêt. Après un exposé des moyens employés pour mouler le Persée en terre et, ce creux une fois obtenu, pour extraire la cire avec laquelle la statue avait été modelée, Cellini nous montre le bois amoncelé, le métal disposé dans le fourneau, les canaux dirigés dans le sens convenable, et les hommes qui doivent assister le maître chacun au poste assigné.


« Quand j’eus vu, dit-il, que mes aides avaient bien compris ma méthode, fort différente d’ailleurs des procédés ordinaires,… je donnai vaillamment l’ordre d’allumer le fourneau. Bientôt, grâce à un excellent mode de construction, le fourneau fit vigoureusement son office, si vigoureusement même que j’étais obligé, pour maintenir toutes choses en état, de courir tantôt ici, tantôt là, me fatiguant outre mesure, et cependant ne songeant guère à m’épargner. Il arriva en outre que le feu prît à mon atelier. Nous avions lieu de craindre que d’un instant à l’autre le toit ne s’écroulât sur nos têtes, tandis que du côté du jardin le ciel chassait sur nous tant de pluie et de vent, que mon fourneau commençait à se refroidir. Je luttai pendant plusieurs heures contre ces terribles accidens, mais à la fin je me sentis vaincu, et malgré ma robuste complexion je succombai à la fatigue. Me voilà pris d’un accès de fièvre, le plus violent qui puisse saisir un homme, et contraint d’aller me mettre au lit. Ainsi condamné à quitter la partie et désolé jusqu’au fond de l’âme, je me tournai vers ceux qui m’avaient aidé jusque-là (ils étaient dix environ, fondeurs, manœuvres, paysans ou apprentis), et m’adressant à l’un d’eux que j’avais auprès de moi depuis plusieurs années, je lui donnai mes dernières instructions, non sans m’être recommandé aussi à tous les autres…

« Je venais de me coucher en proie aux plus cruelles angoisses quand je vis entrer dans ma chambre un de mes hommes dont le corps tortu avait