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des esclaves attirait chaque année devant Whydah un assez grand nombre de navires.

Nous nous éloignâmes sans regret d’une rade qui nous offrait, chaque fois que nous voulions descendre à terre, un double péril à courir : celui de nous noyer et celui de servir de pâture aux requins. En partant de Whydah, il ne nous restait plus qu’à nous rendre à l’île du Prince, possession portugaise d’où nous devions, après quelques jours de repos, faire voile pour France ! On craignait que les courans qui règnent sur cette côte ne nous entraînassent dans le golfe de Biafra, d’où nous aurions, disait-on, beaucoup de peine à sortir. On dirigea donc la frégate de manière à prévenir ce danger un peu imaginaire, et la première terre que nous aperçûmes fut l’île d’Annobon, qui est fort élevée et boisée jusqu’à son sommet. Annobon est à soixante-sept lieues de l’île du Prince, mais dans le sud-sud-ouest, et par conséquent au vent de cette dernière île. Le chemin que nous avions fait inutilement n’allongea donc notre traversée que de quelques jours. Aux approches de l’île du Prince, le temps se mit à l’orage. Ce fut à la lueur des éclairs que nous découvrîmes le rocher du Diamant, qui marque l’entrée du port de Santo-Antonio. La pluie tombait par torrens, et nous masquait presque complètement la vue de la côte. Nous continuâmes néanmoins à courir vers la terre pour la bien reconnaître, et vînmes prendre mouillage vers le fond de la baie.

Les rues de Santo-Antonio sont spacieuses ; les habitations n’y manquent pas d’une certaine élégance. La population de cette ville comptait alors près de dix mille âmes : elle se composait de quelques Portugais, de nègres, et surtout de métis indigènes. Les habitudes sociales n’établissaient pas d’ailleurs de distinctions bien marquées entre ces trois races. Les noirs qui n’étaient pas esclaves jouissaient des mômes prérogatives que les autres habitans. Ce n’est qu’à Santo-Antonio que j’ai rencontré des prêtres noirs, qui m’ont paru, je dois le dire, fort jaloux de leurs droits. Chaque fois qu’un Européen se trouvait sur leur passage, ils ne manquaient pas, suivant la coutume portugaise, de lui présenter leur main à baiser. Cette exigence pouvait sembler singulière à des Français ; les recommandations qui furent faites à ceux de nos marins qui obtinrent l’autorisation de descendre à terre prévinrent tout scandale. Les plus délicats et les plus railleurs se soumirent, ou évitèrent des rencontres qui ne pouvaient être que fort désagréables. La nation portugaise est peut-être de toutes les nations européennes celle à laquelle les préjugés de race sont le plus étrangers. C’est aussi la seule qui ait su rendre la condition de l’esclave supportable. Dans les colonies qu’elle a fondées, on rencontre plutôt le spectacle de la