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que de sept hommes, apporta d’ailleurs peu de changement dans notre position. Les forces de nos hommes s’épuisaient ; on ne pouvait plus manœuvrer sans appeler tout le monde sur le pont, et souvent on voyait des matelots tomber de faiblesse. Pour les ranimer, on leur donnait alors une cuillerée de vin, dont le commandant possédait encore quelques bouteilles. La neige et le verglas rendaient la manœuvre si pénible, qu’il fallut faire coucher les matelots dans la grande chambre et placer des factionnaires à la porte. Sans cette sage mesure, on eût dû renoncer à brasser les vergues, à augmenter du à diminuer de voiles. Il eût fallu se laisser aller à la merci du vent. Enfin après bien des jours d’intolérables souffrances nous aperçûmes la terre. Notre pilote côtier nous dirigeait de façon à donner dans l’Iroise, lorsqu’on reconnut, mais trop tard, que l’on avait gouverné sous le vent de la passe. Il nous fallut venir au plus près et recommencer à louvoyer. Par une fatalité bien extraordinaire, aucun des officiers ne pouvait ce jour-là réussir à faire virer la frégate vent devant. Nos évolutions maladroites entraînaient peu à peu la pauvre Reconnaissance vers les écueils qui environnent l’île d’Ouessant. Déjà on pouvait prévoir le moment du naufrage, lorsqu’un coup de vent se déclara avec la plus grande violence et nous éloigna de terre. Il fallut aussitôt fuir vent arrière et à sec de voiles. La mer devint prodigieusement grosse. La lame augmentait encore notre sillage, qui était de plus de douze nœuds à l’heure. Nous franchîmes en peu de temps l’espace qui sépare la côte de Bretagne de la côte d’Espagne, et la première terre que nous aperçûmes fut le cap Ortegal. À l’approche de ce cap, la force du vent diminua ; un pilote vint à bord et conduisit la frégate à La Corogne. Les vents d’est continuant à régner avec force, il fallut attendre deux mois le moment où le retour en France ne présenterait plus des difficultés insurmontables. Il n’y eut pas jusqu’à ce séjour à La Corogne qui ne faillit nous être funeste. Faute d’avoir observé les précautions nécessitées par un brusque changement de régime, l’équipage eut à souffrir de graves indispositions qui vinrent ajouter de nouveaux maux à ceux qu’il avait déjà éprouvés. On partit enfin, mais c’est en vain que l’on comptait sur une traversée exempte des vicissitudes qui avaient signalé le cours de notre campagne. Nous n’étions pas à vingt lieues de notre point de départ, que les vents changèrent de nouveau. La mer devint très grosse ; des grains accompagnés de neige et de grêle ne nous permettaient de porter que peu de voiles. La frégate, n’étant pas appuyée, éprouvait parfois des mouvemens de roulis si violens, qu’on pouvait craindre que sa mâture n’y résistât pas. Néanmoins ces nouvelles contrariétés nous semblaient bien légères quand nous les comparions aux épreuves que nous venions