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Pourvoir ces colonies d’esclaves, en échanger les produits contre ceux de la métropole, tel était avant la révolution le principal rôle de notre marine commerciale. J’avais appris sur une frégate du roi à protéger la traite avant de la faire moi-même sur un bâtiment du commerce. Il ne faut donc pas s’étonner si je n’éprouvais pas pour cet odieux trafic la profonde répugnance que tout cœur bien né éprouverait aujourd’hui.

Les nègres n’avaient pas encore trouvé à la fin du XVIIIe siècle les puissans avocats qu’ils ont rencontrés de nos jours. Peu de gens faisaient alors difficulté de reconnaître dans la malheureuse descendance de Cham une famille d’un ordre inférieur et justement condamnée à la servitude. Sans cette opinion si commode, qu’auraient fait les Européens de ce Nouveau-Monde dont ils avaient en moins d’un siècle exterminé ou usé les habitans ? Les conquérans n’étaient pas d’humeur à prendre eux-mêmes la bêche et la faucille ou à fouiller de leurs propres mains les entrailles de la terre. L’eussent-ils voulu, leurs forces les auraient trahis. Ils vinrent donc demander au continent africain des bras plus vigoureux que ceux des Indiens et des Caraïbes. La traite des noirs devint un trafic annuel et régulier. Comme toutes les autres branches du commerce, elle eut ses périodes d’activité et de stagnation. La paix européenne la fit fleurir, la guerre et la piraterie arrêtèrent ses progrès. En 1788, elle était à son apogée. Presque toutes les nations maritimes, la France, l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, le Portugal, avaient des comptoirs sur la côte d’Afrique. L’Espagne seule recevait la majeure partie de ses esclaves par des navires étrangers. Le droit d’approvisionner les immenses possessions coloniales de cette puissance avait d’abord appartenu aux Portugais. La présence d’un prince français sur le trône de Madrid nous l’avait assuré ; en 1713, nous avions dû le céder à l’Angleterre : ce fut une des conditions de la paix d’Utrecht. Aussi, pendant que nous n’occupions que deux comptoirs dans le golfe de Guinée, Whydan et Amokou, les Anglais étaient-ils obligés d’en posséder quarante, mais là même où la France ne possédait aucun comptoir, ses bâtimens n’en poursuivaient pas leurs opérations avec moins d’activité. Cent navires jaugeant environ trente mille tonneaux partaient chaque année de Nantes, de La Rochelle, du Havre, de Saint-Malo et de Dunkerque, pour se rendre sur la côte d’Afrique, soit au nord, soit au sud de l’équateur. Ces navires transportaient dans nos colonies, particulièrement à Saint-Domingue, près de quarante mille esclaves. C’était un voyage de sept mois environ qui, à moins de quelque chance malheureuse, donnait à l’armateur et au capitaine de très beaux bénéfices. Les nègres achetés 400 francs sur la côte d’Afrique se vendaient jusqu’à