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est largement développée, et peut se résumer dans les termes suivans : l’homme est un être à part des animaux ; seul, il réunit en lui le monde de la matière et le monde de l’esprit ; seul, il est le lien entre cet univers et Dieu. On voit que l’illustre dominicain se bornait sagement aux vérités fondamentales. Il fut suivi dans cette voie par un grand nombre d’écrivains ; mais bientôt l’esprit de secte envahit ce terrain, où auraient dû se rencontrer en paix les croyances les plus diverses. La zoologie eut ses légendes et ses miracles ; elle aussi devint un champ de bataille où se heurtèrent les théologiens de toutes les communions. Les insectes, les mollusques, eurent leur théologie aussi bien que les pierres elles-mêmes[1]. Ces luttes durent peut-être encore. Tous, nous avons pu entendre M. de Blainville[2] soutenir les doctrines catholiques, et foudroyer le protestantisme au nom de la science en général et de la zoologie en particulier. Par une réaction facile à prévoir, les philosophes du XVIIIe siècle cherchèrent aussi des armes dans ce même arsenal, et de nos jours, les ouvrages de Lamarck[3] reproduisirent à peu de chose près les rêveries de Telliamed[4] presque à l’époque où Oken[5] introduisait dans l’anatomie et la zoologie les doctrines panthéistes des philosophes de la nature.

On vient de voir que dès les temps anciens la conception si large et si complète d’Aristote semblait avoir été oubliée. Ses successeurs, loin d’embrasser l’ensemble de l’animal, s’arrêtent à un seul point de vue. Le médecin se réserve l’anatomie et ce qu’on pouvait faire alors de physiologie ; il se préoccupe aussi, et d’une manière exagérée, des applications à la matière médicale. Les compilateurs se bornent à une énumération sans méthode, à des descriptions incomplètes, à quelques observations de mœurs ; d’autres ne s’attachent guère qu’aux applications usuelles. Ne faisons pas à nos devanciers un trop grand crime de ce morcellement. Étudier d’emblée le règne animal dans son ensemble et ses détails, en tenant compte de tout, était vraiment chose impossible. Une étude successive pouvait seule conduire au but, et nous allons voir comment plusieurs générations de naturalistes ont concouru à l’accomplissement de cette œuvre avec une logique instinctive qu’on ne saurait trop admirer.

La zoologie reprend faveur dès le XVIe siècle, et se fait d’abord

  1. Lithothéologie, ou Théologie des Pierres, par Lesser ; Théologie des Testacés, Théologie des Insectes, par le même (1694-1754). Ce dernier ouvrage a été traduit en français par Lyonnet, le célèbre anatomiste de la chenille du saule.
  2. 1778-1850.
  3. 1741-1829.
  4. Pseudonyme de De Maillet, consul de France. Cet auteur cherche entre autres choses à prouver que l’homme n’est qu’un poisson modifié.
  5. 1758-1828.