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la mémoire la plus robuste dut succomber sous ce fardeau sans cesse croissant. On comprit qu’au travail de répartition, dont on s’était à peu près uniquement occupé, il fallait en joindre un autre, et que, pour dresser le catalogue des espèces animales, il était nécessaire à la fois d’améliorer la classification et de créer la nomenclature. Linné[1] résolut ce double problème. Chaque animal fut désigné par deux mots, dont l’un indique le genre, l’autre l’espèce elle-même. Ces deux mots, représentant en quelque sorte le prénom et le nom de famille, indiquèrent, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’état civil, de l’animal. Les genres furent groupés en ordres, et les ordres en classes. Chacune de ces divisions fut nettement caractérisée. Dès lors l’esprit put aisément embrasser l’ensemble du règne ; la détermination d’une espèce déjà connue et nommée n’offrit plus de difficultés réelles, et chaque espèce nouvelle prit place tout naturellement dans le groupe dont elle présentait les caractères. Le système de Linné, sa nomenclature binaire, furent pour la zoologie de puissans instrumens, et, grâce à eux, elle accomplit en quelques années d’immenses progrès.

Malheureusement la classification de Linné était toute systématique. Conçue à priori et n’ayant d’autre but que d’arriver aisément à reconnaître le nom d’un animal et par conséquent à déterminer son espèce, elle n’utilisait qu’un petit nombre de caractères choisis arbitrairement et regardés comme ayant une égale valeur. Tous les classificateurs en botanique comme en zoologie avaient agi de même, et tous, Linné comme les autres, arrivaient ainsi à ne tenir presque aucun compte des rapports naturels des êtres, souvent à les rompre d’une manière étrange, en rapprochant les espèces les plus disparates ou éloignant les plus voisines. Le grand naturaliste suédois avait trop de génie pour ne pas sentir ce grave défaut. Au-delà de tous les systèmes, il entrevoyait bien quelque chose de plus haut. La méthode naturelle lui apparaissait comme un idéal, « mais, disait-il à son correspondant Bernard de Jussieu, comme un idéal que l’on ne pourrait atteindre. » Si nous parlions de botanique, nous aurions à rappeler ici comment notre compatriote ne désespéra pas à ce point, comment il approcha du but, comment il laissa à son neveu Antoine-Laurent de Jussieu la gloire de l’atteindre, et comment ce dernier en fit l’application à la science des végétaux ; mais il s’agit de zoologie, et il nous reste à montrer comment la méthode passa de l’étude des plantes dans celle des animaux.

Latreille, le premier, tenta cette introduction[2] ; mais il fallut le

  1. 1707-1778.
  2. 1762-1833.