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Olivier passait la plus grande partie de ses vacances dans le comté de Roscommon, chez le révérend Contarine, qui avait épousé une des sœurs de Charles Goldsmith. Le grand-père de Contarine était un Vénitien de la famille Contarini, qui a fourni plusieurs doges. Entré dans les ordres, il s’était épris d’une religieuse, issue également de noble famille, et l’avait enlevée. Les deux amans avaient parcouru dans leur fuite l’Allemagne, la France et l’Angleterre. La religieuse était morte dans les bras de Contarini, qui allait périr à son tour de maladie et de misère, lorsque la fille d’un dignitaire de l’église d’Irlande s’était éprise de lui, l’avait rappelé à la vie par son dévouement, et l’avait épousé. Ce n’était point la seule histoire romanesque que l’on racontât de cette famille, qui semblait destinée aux aventures. L’oncle d’Olivier était du reste un homme de mérite : il avait été l’ami et le compagnon d’études du savant Berkeley, et il passait pour l’un des membres les plus instruits du clergé d’Irlande. Il n’avait d’autre enfant qu’une fille, il avait pour Olivier une amitié qui allait jusqu’à la faiblesse, et il le traitait en fils plutôt qu’en neveu. Il se faisait rendre compte de ses études, il encourageait ses essais poétiques, il lui prêtait des livres. Carolan, qu’Olivier avait vu quelquefois chez son oncle dans son enfance, était pour eux le sujet de fréquens entretiens. Turlogh O’Carolan a été le dernier barde irlandais. Devenu aveugle à l’âge de dix-huit ans et sans autre moyen d’existence que sa harpe, il passa sa vie à parcourir le Connaught. Invité et choyé chez tous les grands propriétaires, vénéré par les paysans, il payait par ses chants l’hospitalité qu’on s’empressait de lui offrir partout. Il composait lui-même les paroles et les airs de ses ballades, dont la plupart se chantent encore. Carolan fut une des premières admirations d’Olivier : celui-ci n’oublia jamais ni la noble physionomie de l’Homère irlandais, ni les hommages dont sa vieillesse était entourée, ni les applaudissemens qui accueillaient ses chants, et cette impression que le temps n’effaça jamais ne contribua peut-être pas médiocrement à éveiller chez lui l’instinct poétique et à lui inspirer le goût des vers.

Ainsi tout contribuait à développer chez lui l’imagination au préjudice des autres facultés. L’indulgente affection de ses parens et de ses amis achevait l’œuvre commencée par de mauvaises lectures et des études mal dirigées. On riait de ses saillies et de ses ingénuités, au lieu de chercher à rectifier son jugement et à fortifier sa raison : on encourageait les élans de sa bonté naturelle sans s’apercevoir que cette bonté dégénérait en faiblesse ; nul ne le mettait en garde contre une sensibilité excessive qui devait être la source de toutes ses erreurs et de toutes ses souffrances. « Il n’y a point chez lui le moindre grain de méchanceté, » disaient d’une voix unanime