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fut au comble quand il se vit sur le pavé de Dublin sans un écu. Il ne savait quel parti prendre, et plusieurs jours s’écoulèrent avant qu’il eût le courage d’annoncer à sa famille ce qui lui était arrivé. Il n’osa point écrire à sa mère, ce fut à son oncle Contarine qu’il s’adressa, et cet excellent homme fut comme toujours le premier à lui pardonner. Olivier revint passer quelques mois auprès de son frère ; mais une discussion assez vive qu’il eut avec Henri lui fit comprendre la nécessité de s’éloigner et de se créer enfin une carrière. Sur le conseil de son cousin, le doyen de Cloyne, il résolut d’étudier la médecine, et demanda à être envoyé à Edimbourg, dont l’enseignement médical était alors en grande réputation. On se rendit à son désir. Son oncle, son frère, son beau-frère Hodson, s’engagèrent tous à contribuer à son entretien ; mais on eut cette fois la précaution de ne lui donner que l’argent nécessaire au voyage, en lui annonçant qu’on lui ferait parvenir sa petite pension à mesure de ses besoins. L’expédient réussit : Olivier arriva sans encombre à Edimbourg en octobre 1752. En descendant du coche, il déposa ses effets dans la première hôtellerie qu’il aperçut, et, pressé de voir la ville, il sortit aussitôt, sans s’informer du nom de l’hôtelier ni même du nom de la rue où celui-ci demeurait. Quand il se fut bien promené et que l’heure de dîner fut venue, il lui fut impossible de retrouver son chemin. Il erra jusqu’au soir de rue en rue, et il était menacé de coucher à la belle étoile lorsqu’un heureux hasard lui fit rencontrer le commissionnaire qui le matin avait porté son petit bagage.

Goldsmith passa dix-huit mois à Edimbourg. Il paraît y avoir assez bien employé son temps. Dans le petit nombre de ses lettres qui ont été conservées, il parle avec une admiration sincère du professeur d’anatomie Munro, et le jugement qu’il porte sur les autres professeurs atteste une certaine assiduité aux cours. La chimie était l’étude qui lui plaisait le plus, et il se lia assez étroitement avec Joseph Black, qui devait s’illustrer par des découvertes considérables dans cette science. Plusieurs des compagnons d’études de Goldsmith à Edimbourg, les docteurs Farr et Sleigh, M. Lauchlan Macleane, qui devait plus tard faire figure dans la politique, gardèrent bon souvenir de leurs relations avec lui, et demeurèrent ses amis. Ce n’est pas qu’il fût devenu un modèle de régularité : il avait retrouvé en Écosse un certain nombre de compatriotes, et avec eux il ne recherchait que la réputation d’un gai convive et d’un bon compagnon. On se donnait rendez-vous dans une taverne pour chanter des chansons irlandaises, et tourner en dérision l’avarice, la raideur et l’hypocrisie des Écossais. Sur ce sujet, Goldsmith ne tarissait pas : il avait toujours prêt un bon mot ou un couplet contre l’Écosse.