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faire vivre ; sa détresse était si grande qu’ayant fait un large accroc à son habit, il ne put s’acheter un nouveau vêtement et dut faire raccommoder l’ancien. Quand il était appelé quelque part, il avait soin de tenir son chapeau contre sa poitrine, afin de dissimuler la pièce malencontreuse. Un érudit ayant laissé par testament une rente de 300 guinées pour le savant qui voudrait aller déchiffrer les inscriptions gravées sur certaines montagnes d’Arabie, Goldsmith médita de tenter l’aventure, quoiqu’il ne sût pas un mot des langues orientales. Il était encore poursuivi par cette folle pensée, lorsqu’il retrouva à Londres un autre de ses camarades d’Edimbourg : c’était le fils du docteur Milner, qui tenait à Peckham, aux environs de Londres, un pensionnat en grande réputation. Milner proposa à Goldsmith de suppléer son père, qui était fréquemment malade : cette offre fut acceptée avec empressement par le poète, dont toute l’ambition, a-t-il dit lui-même, était alors de vivre. Goldsmith se fit bientôt aimer des élèves : il avait toujours des histoires à leur raconter pendant les récréations ; il jouait de la flûte pour les distraire, il était indulgent sur la discipline, et, pour peu qu’il fût en fonds, il ne fallait pas le prier beaucoup pour qu’il régalât tout le monde de gâteaux ou de fruits. Le reste de ses appointemens passait en aumônes à tous les pauvres qu’il trouvait sur son chemin, et, s’il avait une emplette à faire, il était presque toujours obligé de demander une avance. Mme Milner lui disait alors en riant : « Il vaudrait mieux pour vous, monsieur Goldsmith, me laisser prendre soin de votre argent, comme je fais pour quelques-uns de nos jeunes gens. » Et Goldsmith répondait avec bonhomie : « Vous avez bien raison, madame ; j’en aurais aussi grand besoin qu’eux. »

Le docteur Milner était en relation avec le libraire Griffiths, fondateur de la Revue Mensuelle, le premier recueil littéraire qui ait réussi à vivre en Angleterre ; il fournissait quelquefois des articles à la Revue et Griffiths venait de temps en temps dîner à Peckham. Goldsmith eut donc occasion de voir le libraire, et les connaissances variées qu’il déploya dans la conversation donnèrent à celui-ci l’idée de se l’attacher comme collaborateur. Le parti tory venait de fonder la Revue Critique pour faire concurrence à la Revue Mensuelle, et en avait confié la direction à un homme d’un véritable talent, à Smollett. Griffiths éprouvait le besoin de nouveaux aides pour soutenir la lutte : il offrit à Goldsmith la table et le logement chez lui, et un traitement fixe s’il voulait écrire pour la Revue Mensuelle. L’engagement fut conclu pour un an ; mais il fut résilié au bout de cinq mois. Griffiths, qui était par-dessus tout un homme d’affaires, croyait avoir acquis Goldsmith corps et âme, et, pour prix d’une maigre pitance, l’écrasait de besogne. Goldsmith écrivait tous les