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jours au moins depuis neuf heures jusqu’à deux, souvent beaucoup plus tard ; le reste de la journée suffisait à peine pour les lectures indispensables. On lui demanda en effet pour un seul numéro, celui de mai 1757, cinq articles étendus et vingt-trois notices sur des livres nouveaux. Il était donc plus esclave qu’il n’avait jamais été à Peckham ; mais ce qui le révoltait bien plus encore que ces exigences excessives, c’était de voir le libraire allonger ou raccourcir ses articles, en bouleverser l’ordonnance ou en changer les conclusions, et faire remanier par sa femme ceux qu’il ne revoyait pas lui-même. Aucun des articles de la Revue Mensuelle n’est signé ; un registre trouvé dans les papiers de Griffiths a fait savoir cependant ceux qui appartiennent au docteur Milner, ceux qui sont de la main du docteur Granger, un autre des amis de Goldsmith, et ceux qui sont l’œuvre du poète. Parmi ces derniers, il en est de remarquables, notamment ceux qu’il consacra à l’Essai de Burke sur le beau, et aux Odes de Gray. Celui-ci est surtout curieux, parce qu’il fait connaître les idées de Goldsmith sur la poésie avant qu’il eût rien publié lui-même, et prouve ainsi que ces idées ne furent point formées après coup.

Gray, dont on ne lit plus guère qu’une touchante élégie intitulée le Cimetière de Village, était alors fort prisé dans le beau monde, qui saluait en lui le Pindare de l’Angleterre. C’était un de ces lyriques érudits et beaux esprits qui font de l’enthousiasme à froid, cherchent laborieusement un beau désordre, et n’aboutissent avec beaucoup d’efforts et de talent qu’à produire des œuvres artificielles, dépourvues de vie et de réalité. Tout en rendant justice aux mérites de Gray, Goldsmith démontre très bien que les imitateurs trop fidèles de. Pindare ne s’attachent qu’aux procédés matériels, c’est-à-dire au côté éminemment périssable de sa poésie, tandis qu’ils en négligent le côté toujours vivant, et que le vrai moyen d’égaler l’inspiration des anciens, ce n’est pas de la contrefaire, mais de la puiser aux mêmes sources :


« C’est avec regret, disait Goldsmith, que nous voyons des talens si capables de charmer tout le monde se dépenser en efforts qui peuvent tout au plus plaire au petit nombre. Nous ne pouvons voir ce poète nouveau demander la réputation aux lettrés sans être tenté de lui donner le conseil qu’Isocrate répétait à ses élèves : Étudiez le peuple. Cette étude est ce qui a conduit à l’immortalité les grands maîtres de l’antiquité. Pindare lui-même, dont notre moderne lyrique est l’imitateur, semble se régler entièrement sur ce principe. Ses ouvrages s’adaptaient exactement au caractère de ses compatriotes. Irrégulier, enthousiaste, rapide dans ses transitions, (il écrivait pour un peuple inconstant, d’une vive imagination et d’une exquise sensibilité. Il faisait choix des sujets les plus populaires, et toutes ses allusions