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voyageurs ont l’esprit et le cœur remplis d’aspirations politiques très conformes aux opinions républicaines de M. Richard Wagner, en sorte que la question d’art se complique d’un élément qui lui est étranger, et qui altère tous les jugemens de l’époque où nous sommes.

Le vent qui vient à travers l’Allemagne
Me rendra fou !

En Italie et dans le monde occidental tout entier, c’est toujours la furia de M. Verdi qui émeut et agite les esprits. Ses opéras se changent dans toute la péninsule italique, à Londres, à Madrid, à Lisbonne, à Saint-Pétersbourg, à Varsovie, et dans les principales villes des deux Amériques. Ils sont aussi très goûtés du public de Vienne, qui a toujours été plus italien qu’allemand. Du temps de Mozart, ce public préférait déjà la Cosa rara de Martini aux divines inspirations de Don Juan, et de nos jours il a couru à la Linda di Sciamouni de Donzetti, délaissant le Fidelio de Beethoven. À Berlin, dans la véritable capitale intellectuelle de l’Allemagne, on a jugé le Trovatore de M. Verdi. bien plus sévèrement que nous ne l’avons fait ici. Devant un public qui entend tour à tour l’Orphée et l’Iphigénie en Aulide de Gluck, Don Juan et le Nozze di Figaro de Mozart, la Vestale de Spontini, Joseph de Méhul, le Freyschütz et les deux autres chefs-d’œuvre de Weber, Euryanthe et Oberon, la Muette de M. Auber, Guillaume Tell de Ressini, Robert, les Huguenots, de Meyerbeer, et le Tannhauser de M. Richard Wagner, devant ce public-là qui possède le plus admirable ensemble de musique religieuse qui existe en Europe, la, musique du Domchor, les mélodrames de M. Verdi ne pouvaient pas exciter de surprise et prendre d’assaut des imaginations qui, comme celles du midi, n’entendent qu’un son et qu’une cloche fêlée pendant toute une saison. À Paris, dans cette ville hospitalière à toutes les doctrines et à toutes les langues, qui joue dans les temps modernes un rôle à peu près semblable à celui que jouait la ville d’Alexandrie sous les Ptolémées ; à Paris, les ouvrages de M. Verdi ont été entendus, étudiés et classés, je le crois, à leur véritable rang. Dans le vaste panthéon où l’éclectisme du goût parisien, le vrai génie de la France, a réuni les images de tous les dieux vivans, M. Verdi a sa place marquée, il a ses fidèles et ses dévots, mais il n’absorbe pas, comme cela, arrive en Italie, tous les ex-voto des pèlerins. Il a sa chapelle, ses petits miracles, mais à côté de lui il y a des thaumaturges plus puissans dont il n’est pas facile de faire oublier la légende dorée.

Nous ayons été des premiers, ici et ailleurs, à signaler à l’attention du public les œuvres du compositeur lombard. Il y a tel article de journal qui nous fut inspiré, il y a une douzaine d’années, par l’opéra de Nabucco, et que nous pourrons reproduire en entier sans avoir à craindre le moindre reproche de partialité intellectuelle. On peut lire dans cette Revue le jugement que nous avons porté successivement sur le Trovatore, sur la Traviata et Rigoletto.[1], et l’on s’assurera facilement que nous n’avons jamais méconnu les qualités, du talent de M. Verdi. Les pages que nous avons consacrées à l’examen des Vêpres siciliennes ont été reproduites par la plupart des journaux italiens, qui ont trouvé que nous avions été trop indulgent pour une

  1. Voyez notamment les livraisons du 15 janvier 1855 et du 15 décembre 1856.