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est un meilleur musicien que le génie touchant et si bien doué de l’auteur du Pirate et de la Sonnambula, celui-ci possède une originalité mélodique, un accent, un instinct des effets harmoniques qui lui donnent une véritable supériorité sur son brillant émule, dont le style est plus souple et plus varié. Cependant, entre les mains de Donizetti et de Bellini, l’idéal transmis par le génie de Rossini s’abaisse et s’altère considérablement. Les formes mélodiques sont déjà moins amples, l’instrumentation moins splendide et moins colorée, le plan des morceaux moins vaste et plus pauvre d’incidens, et l’ensemble des effets se rapproche plus d’un tableau de genre que d’une conception historique. Il n’y a pas de système ni de sophisme qui puisse méconnaître la distance qui sépare des œuvres comme Otello, Semiramide, la Gazza ladra, le Barbier de Séville, des charmantes partitions de Lucie, la Favorite, Don Pasquale, de la Sonnambula, Norma et les Puritains. On peut avoir ses préférences et se sentir attiré plutôt vers l’un de ces maîtres que vers l’autre, mais on ferait preuve d’une éclatante ignorance des proportions des choses et des beautés inhérentes à l’art musical, si l’on s’avisait de confondre l’auteur de Moïse et de Guillaume Tell avec les compositeurs distingués qui ont marché sur ses traces lumineuses sans pouvoir l’atteindre.

Pendant que Rossini opérait en Italie et dans la musique purement dramatique l’évolution dont nous venons de parler, l’Allemagne créait un monde nouveau. Autour du génie homérique de Beethoven, Weber, Schubert, Spohr, Mendelssohn et Chopin développent leurs qualités respectives sur un fond de poésie nationale qui se manifeste pour la première fois dans l’art musical. Ajoutez à ces noms ceux de Handel et de Sébastien Bach, de Haydn et de Mozart, comme compositeurs de musique instrumentale, et vous avez un ensemble de merveilles dont la pauvre Italie ne soupçonne même pas l’existence. La France, comme toujours, reste fidèle à son goût presque exclusif pour la musique qui sert d’accessoire à une action dramatique. D’un côté, Spontini et Méhul continuent la tradition de Gluck, qui était déjà celle de Rameau et de Lully ; de l’autre, on marche sur les traces de Grétry, qui professait les mêmes principes sur la déclamation lyrique que l’auteur d’Alceste et d’Iphigénie. Nicolo, Boïeldieu, Auber et Hérold surtout agrandissent le cadre de l’opéra-comique, et transforment la comédie à ariettes en un poème musical, tandis que Meyerbeer vient doter le grand opéra de son coloris puissant, du relief des caractères et de la logique profonde qu’on remarque dans Robert, dans les Huguenots et le Prophète. M. Halévy marche sur ses traces, comme Cherubini avait continué au théâtre la manière de Mozart et de Cimarosa, combinée avec la tradition de Gluck.

C’est à peu près vers l’année 1840 que l’Italie commença à connaître le nom de M. Verdi. Bellini était mort, et Donizetti était absorbé par la noble ambition d’écrire des ouvrages pour la scène française, moins sujette aux révolutions de la mode que les théâtres de la péninsule. Il donna la Favorite, Don Pasquale, Dom Sébastien, qui renferment de si belles choses, et puis son aimable génie s’éteignit avant l’heure, emportant le secret de bien des chefs-d’œuvre qu’auraient produits sans doute une plus grande expérience et la maturité des facultés. Resté seul sur le champ de bataille, au milieu d’une nation oisive, toujours avide de nouveautés et déjà fortement émue par des espérances de changemens politiques, M. Verdi acquit en peu de temps une