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On ne raconte pas une fable comme celle qu’a imaginée M. Sauvage. Quand nous dirions à nos lecteurs qu’un certain Lelio, de Venise, veut épouser une Sylvia quelconque, première cantatrice de l’Italie, dont il s’est follement épris, malgré son rang et sa naissance, ils n’auraient encore qu’une idée inexacte de l’imbroglio fastidieux qui sert de cadre à la donnée poétique. Nous ne voudrions pas affliger un artiste de mérite comme l’auteur du Caïd, du Songe d’une Nuit d’été et de dix autres partitions distinguées et souvent consultées avec fruit par les amateurs de finesses harmoniques, mais il faut avouer cependant que la musique que lui a inspirée un sujet tel que le carnaval de Venise pouvait être plus gaie, plus neuve ou tout au moins plus perceptible aux oreilles avides des pauvres auditeurs, qui ne savaient comment passer leur temps. Sans rien dire de l’ouverture qui présente le thème si connu de l’air du carnaval de Venise avec les lazzi ajoutés par le génie de Paganini et un second mouvement sur une espèce de tarentelle, nous n’avons remarqué au premier acte que l’andante d’un air que chante fort bien M. Stockhausen, et un trio avec variations de violon où Mme Cabel fait de tristes prouesses. Au second acte, il y a un sextuor habilement écrit, et puis un duo pour soprano et ténor au troisième, le morceau le plus agréable de l’ouvrage. Il est évident que c’est pour faire éclater toute la bravoure de Mme Cabel que le nouvel opéra de M. Ambroise Thomas a été conçu et composé. Elle y joue le rôle de Sylvia, de la prima donna aux séductions irrésistibles. C’est là un détestable système, qu’une cantatrice bien autrement habile que Mme Cabel, Mme Carvalho, n’a pu faire accepter sans ennui. À quelque chose malheur est bon, et après un échec comme celui que vient d’éprouver Mme Cabel dans le Carnaval de Venise, je demande qu’on me reconduise à la Margot de M. Clapisson, et qu’on élève un monument à M. Verdi, qui est un colosse à côté de tout ce qu’on nous fait entendre depuis quelque temps dans les théâtres de Paris.

M. Ambroise Thomas a été mieux inspiré dans la messe solennelle qu’il a composée il y a trois ans pour la fête de Sainte-Cécile, et qui a été exécutée pour la seconde fois, le 19 novembre, à l’église Saint-Eustache, par l’association des artistes musiciens, au nombre de six cents. D’un style soutenu et souvent élevé, la messe de M. Ambroise Thomas ne s’écarte guère des formes connues de la musique religieuse, et ne présente pas la solution de la question qui préoccupe beaucoup d’esprits cultivés, à savoir quel doit être le caractère de la musique religieuse dans le culte catholique au XIXe siècle. Dans le Gloria de la messe de M. Ambroise Thomas, qui est écrit avec éclat et une sonorité excessive peut-être, j’ai remarqué le Qui tollis peccata mundi, pour voix de soprano seule, que Mme Bockholtz-Falconi a chanté avec goût. L’Agnus Dei, solo pour voix de soprano et chœur, est aussi un morceau plein d’onction, mais je lui préfère l’O Salutaris, duo pour basse et ténor que MM. Bataille et Jourdan, de l’Opéra-Comique, ont fort bien chanté. L’exécution de l’ensemble de cette composition distinguée de M. Ambroise Thomas a été satisfaisante, et la solennité n’aurait laissé rien à désirer sans un sermon trop développé pour la patience d’un auditoire qui était venu chercher de l’émotion religieuse, et non pas des subtilités de casuiste dont il n’avait que faire.

Le 6 décembre, il y a eu aux Champs-Elysées, dans la salle du Cirque-Olympique,