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gratuitement l’auteur de l’ouvrage estimable que nous examinons. Consacrer trois ou quatre pages à inscrire les œuvres les plus minimes de tel pianiste ou compositeur obscur que nous pourrions citer, c’est évidemment dépasser la mesure qui doit être le premier mérite d’un ouvrage historique. M. Fétis, dans sa Biographie universelle des Musiciens, n’a pas su non plus toujours se défendre de cette faiblesse envers quelques artistes contemporains dont l’avenir s’occupera fort peu. Les siècles vont s’accumulant sur la tête du genre humain, et c’est le devoir de l’histoire de ne pas charger la mémoire des générations futures de faits et de noms inutiles.

Parmi les articles intéressans que renferme le dictionnaire biographique de M. Sowinski, on peut citer, après ceux consacrés à saint Adalbert, à Gomolka et à Chopin, celui du prince Radziwil, amateur distingué et auteur de la musique d’un Faust, dont on exécute souvent en Allemagne des fragmens ; — Marco Scacchi, Italien né à Rome vers la fin du XVIe siècle, maître de chapelle du roi de Pologne Sigismond III ; — Sigismond Ier de l’illustre famille des Jagellons, roi de Pologne, qui a fondé dans la cathédrale de Cracovie en 1534 l’institution célèbre des Roraristes, sorte de chapelle musicale composée de neuf membres ; — la femme de Sigismond Ier, la reine Bona, de la maison de Gonzague, qui fit venir à la cour de Pologne un grand nombre de chanteurs, de musiciens et d’artistes italiens ; — Lipinski, violoniste célèbre, qui depuis longtemps est fixé à Dresde, etc. Tous ces noms-là, et d’autres encore que nous ne pouvons citer, ont été traités avec soin par M. Sowinski. L’auteur n’a pas oublié non plus sa propre biographie, qui occupe sept grandes pages. À part ces réserves et celles que nous pourrions faire sur le style, qui parfois vise un peu trop au lyrisme de M. Liszt, l’ouvrage de M. Sowinski mérite d’être accueilli avec faveur par les hommes éclairés, et sera consulté avec fruit par les historiens de la musique. Si M. Sowinski est assez heureux pour publier une seconde édition de son dictionnaire biographique, nous l’engageons à développer davantage le résumé de l’histoire de la musique en Pologne, qui en forme l’introduction. L’histoire de la musique chez toutes les nations modernes se confond avec celle de la poésie, dont il importe de connaître les formes successives pour bien apprécier celles de l’art musical avant l’époque de son émancipation.


La mort, qui ne cesse de frapper, cette année, sur les hommes distingués, vient d’enlever, le 11 décembre, M. Castil-Blaze, dont le nom appartient de droit à l’histoire de la musique et de la critique en France. Âgé de soixante-treize ans, M. Castil-Blaze a consacré sa longue et laborieuse carrière à vulgariser les chefs-d’œuvre des grands maîtres étrangers et à propager dans le public de saines idées sur un art qu’il avait étudié à fond. Le traducteur d’il Barbiere et du Freuschütz a droit à la reconnaissance de tous les amis de la belle musique, dont il s’est efforcé de répandre le goût chez une nation spirituelle qui n’a point inventé la gamme. Par ses livres, par ses traductions des opéras de Mozart, de Rossini, de Weber, de Beethoven, par ses articles au Journal des Débats, où il est resté dix ans, M. Castil-Blaze a beaucoup contribué au développement de l’instinct musical en France.


P. SCUDO.