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Vichnou, on le sait, est la seconde personne de la triade indienne, le dieu qui s’incarne pour sauver le monde en péril. Égal en puissance à Brahma, dont il conserve et soutient la création, il arrive au moment où la pensée de celui-ci décrète la naissance d’un héros destiné à détruire le rakchasa ; il paraît sans que les dévas l’appellent et de son plein gré, comme s’il n’était que la pensée suprême et féconde prenant tout à coup une personnalité pour agir. À sa vue, les dévas sont remplis de joie, et lui, tournant vers eux son regard bienveillant, prononce ces simples paroles : « Que dois-je faire ? » Les dévas lui racontent comment Daçaratha, roi d’Ayodhya, après avoir pratiqué de grandes austérités, a offert le sacrifice du cheval à l’effet d’obtenir une postérité. « Ce roi, ajoutent-ils, connaît à fond la justice ; il est renommé pour ses vertus, véridique, attaché à ses devoirs. En t’associant à lui, ô Vichnou ! acquiers la qualité d’être l’un de ses fils. » Un peu surpris de leur demande, Vichnou interroge tour à tour les dévas ; il veut savoir quel être redoutable leur cause tant de frayeur, et les habitans du ciel, répétant avec plus de verve encore le récit des méfaits de Râvana, représentent le monstre ennemi de la création comme perpétuellement occupé à interrompre le sacrifice, à détruire les sages anachorètes, les hommes, les rois avec leurs chars, leurs éléphans, etc. Touché de ces plaintes un peu prolixes, le dieu compatissant répond : « Oui, je le ferai ! »

Dans cet exposé du poème de Vâlmiki, la grandeur de la pensée l’emporte encore sur la beauté du style et sur la richesse de l’expression. Je ne connais pas dans l’antiquité païenne une conception aussi haute que celle-ci, et si j’osais comparer le profane au sacré, la fable païenne aux données bibliques, je mettrais presque la scène de Vâlmiki dont je viens de donner une courte analyse en regard d’un passage de Milton si justement admiré. Qu’eût dit l’auteur du Paradis perdu, s’il lui eût été donné de lire ces premiers chapitres du Râmâyana où la croyance de tous les peuples à la régénération de l’homme par le secours et avec l’aide de Dieu se peint d’une manière si éclatante ? Mais restons dans l’Inde avec le poète Vâlmiki, et n’oublions pas que nous sommes, selon le calcul des Hindous, à l’aurore du second des quatre âges, celui de la préservation. C’est la septième fois, d’après les traditions rétrospectives des poèmes cosmiques et religieux, que Vichnou descend sur la terre. Il avait pris déjà la forme d’un poisson, celle d’une tortue, d’un sanglier, d’un lion à face humaine ; il avait emprunté deux fois le corps d’un brahmane[1]. Le tour des kchattryas ou guerriers est enfin venu. Le

  1. Il avait été d’abord le nain Vamana, qui enleva par surprise la possession des