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guerrier des temps héroïques, le héros demi-dieu va paraître au moment où la société indienne se développe avec le plus d’éclat, et avec lui naîtra la poésie épique.

III.

Le jeune prince en qui s’est incarné Vichnou, le pieux Râma, ne sera point un réformateur comme plus tard le divin Krichna et Çâkya-Mouni, le fondateur du bouddhisme. Il restera un guerrier, mais un guerrier vertueux, docile à l’enseignement des brahmanes, soumis aux volontés de son père, qui l’exile injustement et pour donner le trône à un autre de ses fils, un personnage purement humain, éprouvé par la douleur, et dont les dieux se servent pour purger la terre des titans qui l’oppriment. L’épopée qui a débuté d’une façon si élevée, en nous faisant assister aux conseils de la divinité suprême, ne se soutient pas longtemps dans les hautes régions. Une fois que Vichnou a consenti à s’incarner, nous retombons sur la terre, où doit se passer l’action. Râma, forcé de quitter la capitale de son père, s’éloigne tristement, escorté partons les habitans qui pleurent et se lamentent. Il ignore la terrible et glorieuse destinée qui l’attend, il s’avance vers le sud, allant ainsi à son insu au-devant du géant Râvana, roi de Ceylan[1], qui doit lui enlever son épouse chérie et qu’il mettra à mort pour venger celle-ci. Tout le poème de Vâlmiki roule sur les combats que Râma livre aux rakchasas, combats féeriques, mêlés d’enchantemens et de sortilèges, à travers lesquels retentit toujours le cri du cœur et l’accent de la fidélité conjugale. Il s’y mêle aussi des légendes cosmiques, des dialogues philosophiques et religieux entre Râma et les solitaires : c’est le propre de la poésie indienne de revenir sans cesse sur les grandes questions qui intéressent le plus vivement le passé et l’avenir de l’humanité.

Notre intention n’est pas d’analyser ici cette longue histoire, mais seulement de montrer le héros tel que l’entendent les poètes indiens, le chevalier sans peur et sans reproche, admiré des hommes et aimé des dieux. Nous détacherons donc de l’immense épopée un petit épisode tout à fait propre à éclairer la physionomie du guerrier des premiers âges, — celui qui montre Râma débutant dans la carrière des aventures.

À peine le jeune prince est-il en état de porter les armes, qu’il se

    trois mondes au puissant roi Bali, puis Paraçoû-Râma, dont nous parlerons plus loin. Le héros du Râmâyana est désigné plus spécialement par le nom de Râma-Tchandra.

  1. Quelques savans ont vu dans le nom de Taprobane, donné par les anciens à l’île de Ceylan, une altération du mot hindoustani Tâpou-Râvana, île de Râvana.