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nommée des héros de l’Occident. La gloire des armes n’a jamais été pour les Hindous le dernier mot de l’ambition terrestre. En lui conférant les dons qu’il a énumérés avec une certaine emphase, Viçvâmitra consacre dans la personne de Râma les droits des guerriers à la puissance temporelle. Il revêt Râma des attributs de la royauté, telle que l’entendait le législateur Manou. L’arme de Brahma, c’est l’initiation aux textes sacrés, le droit de lire les saintes écritures et d’offrir des sacrifices avec le secours des prêtres officians ; il la lui accorde comme à un Aryen de pure race qui sait combattre et se dévouer pour les intérêts de sa nation. Il lui donne encore le châtiment, qui est le sceptre des rois, la justice, qui en règle l’usage, et enfin le droit de vie et de mort, qui en est l’application suprême.

IV.

Le solitaire qui a conféré à Râma les attributs de la royauté, le vieux Viçvâmitra, est un brahmane ; il a renoncé au métier des armes et remplit désormais les fonctions de prêtre sacrificateur. Dans la pensée du poète comme dans celle des législateurs, toute autorité, toute puissance procède donc du brahmane, qui la tient lui-même de Brahma; le guerrier reste toujours soumis, au moins moralement, à la suprématie de la caste sacerdotale, et comme associé à son œuvre civilisatrice. Aussi les héros de l’antiquité indienne, exempts d’orgueil et de jactance, ne célèbrent-ils jamais eux-mêmes leur gloire ni leurs exploits. C’est au brahmane qui leur a donné l’investiture, c’est au poète inspiré qui retrace leur histoire, de déclarer s’ils ont bien mérité de la postérité. Il y a d’ailleurs pour le guerrier plus d’un genre d’initiation, et l’habileté dans la pratique des armes ne suffit pas au plus brave d’entre les kchattryas pour atteindre la renommée : il lui faut encore le don de la science, tel qu’il fut accordé à Râma par ce même solitaire. Ce que le poète Vâlmiki appelle la science ressemble beaucoup à un talisman, comme on en peut juger par les lignes suivantes :

« Mon fils Râma (c’est Viçvâmitra qui parle), il faut que, selon la loi, tu touches l’eau avec la main, et je t’enseignerai le souverain bien. Que l’occasion soit donc mise à profit! — Reçois les deux sciences que voici, la forte et la très forte; il n’y aura pour toi ni fatigue ni vieillesse dans ton corps, ni altération non plus dans tes membres. — Ni pendant ton sommeil, ni dans un moment où ton esprit serait troublé, l’ennemi ne pourra l’opprimer, et un autre qui t’égale en force, ô Rània, n’existera pas! — Ni parmi les dévas, les hommes et les serpeus, ni dans les mondes ici-bas, ni parmi les hommes et les femmes, soit en félicité, soit en adresse, soit en sagesse, en connaissance des saintes écritures ou en héroïsme, — il n’y aura personne qui t’égale, ni non plus quand il s’agira de répondre. Après que tu auras obtenu