Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’écorce tout baignés par l’eau. — Du milieu des feux où se consume l’offrande des solitaires selon le rite prescrit s’élève une fumée brune comme le cou de la tourterelle qui se montre à travers le ciel sans nuages. — Les arbres qui n’ont presque plus de couleur se confondent dans des masses obscures ; dans le pays environnant, gracieux et calme, ils forment des groupes pareils à des montagnes. — Les êtres qui marchent durant la nuit errent de toutes parts, et les gazelles, hôtes de cette forêt où les solitaires pratiquent leurs austérités, sont venues se coucher au milieu des autels[1]. — Elle s’étend et règne, ô Sitâ, la nuit qu’entoure un cercle de constellations et de planètes, et la lune revêtue de sa douce clarté paraît déjà haute à travers le ciel. — Je te le permets, va auprès de ton époux Râma, etc.[2] »

Avant de renvoyer Sitâ vers son époux, la vieille brahmanie l’invite à faire sa toilette ; malgré son grand âge, — et le poète indique finement ce détail sans y insister, — elle se plaît à voir une jeune belle femme revêtir tous ses ornemens. Râma retrouve son épouse plus gracieuse encore qu’avant sa courte absence : le charme de la recette merveilleuse opère déjà ; mais la beauté de Sitâ pâlit, à notre avis, devant la splendeur de la nuit qui commence. Sereine clarté au ciel, ombres profondes sur la terre, calme partout et silence à peine troublé par la marche des vieillards qui sortent tout trempés de l’eau pure des étangs et par le léger bruit des oiseaux qui se rapprochent des ermitages, tout cela compose un tableau plein de douceur et d’harmonie. Il y a dans ces vers un sentiment intime de la nature tropicale, et je ne sais quelle rêverie mélancolique dont les poètes de l’antiquité classique offrent peu d’exemples, Virgile excepté. Le poète de Mantoue, je me hâte de le reconnaître, a dans ses paysages plus de suavité, il parle au cœur. Vâlmiki vise plus haut ; il s’adresse directement à l’âme. Le premier a des accens que nos sociétés troublées comprennent à merveille, et comme il chante au lendemain des révolutions, il se plaît à peindre les troupeaux qui paissent, les bœufs qui labourent sur un sol ravagé, à peine çendu à l’agriculture. Le second, venu avant les révolutions, décrit une terre vierge qui n’a point souffert encore, et son regard, indifférent aux riches moissons et au bien-être matériel des populations auxquelles l’espace ne manque pas, cherche à travers les solitudes une seule chose : la pensée indienne, la sagesse de sa nation, qui brille au milieu des ténèbres comme un feu sacré.

V.

En insistant quelque peu sur un passage du Râmâyana, en apparence tout poétique, nous ne nous sommes point écarté du sujet

  1. C’est-à-dire dans les espaces creusés au-dessous du niveau du sol et destinés à recevoir l’offrande.
  2. Chant de l’Aranyakânda, chap. v.