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sances ; ses alliés eux-mêmes seront des êtres pris en dehors de la race humaine[1].

L’ère des grands combats et des aventures commence pour Râma dès qu’il a pris congé d’Agastya. Il a reçu toutes les initiations, tous les dons qui le rendent invincible. Notre intention n’est point de le suivre dans ses entreprises, ni de raconter le dénoûment de ce long drame. Les personnages surnaturels avec lesquels Râma entre en relations avant et pendant la conquête de Ceylan appartiennent à la mythologie ; ce n’est pas la fable, mais la physionomie du héros que nous voulons étudier jusqu’au bout, son caractère à la fois humain et divin. Comme dieu, il lui sera donné de triompher de tous ses ennemis ; comme homme, il devra lutter et souffrir. Il lui a été prédit que, grâce au don de la science, la faim et la soif ne le tourmenteront plus, que la fatigue n’aura pas de prise sur son corps ; mais la douleur morale ne lui sera pas épargnée : il se verra séparé de son épouse chérie, de la fidèle Sitâ, qui a tout quitté pour le suivre dans l’exil. Enlevée par le géant Râvana, qui la transporte à Ceylan à travers les airs, Sitâ a trouvé le moyen de laisser tomber quelquesuns de ses ornemens, espérant ainsi apprendre à son époux la route qu’elle a suivie et le mettre sur sa trace. À ce moment, la nature s’émeut d’épouvante et de pitié ; un frémissement inaccoutumé parcourt la forêt, les bêtes fauves poussent des hurlemens plaintifs, le soleil se voile, et la mer qui baigne Ceylan de ses vagues écumantes se soulève indignée. Râma, ne retrouvant plus sa femme là où il l’avait laissée, la redemande à Lakchmana, son frère. Où est-elle ? en quel lieu est-elle allée ? a-t-elle été tuée ? a-t-elle été dévorée par quelque ennemi invisible ? Puis, voyant ses alliés qui pleurent sans répondre, il se met à se lamenter et s’écrie en se tordant les bras :

« Si tu te caches derrière un arbre pour te jouer de moi, ô Sitâ ! cesse ce jeu ; car ton absence me fait trop souffrir[2]. — Les jeunes faons apprivoisés avec lesquels jouait Sitâ, ne trouvant pas leur maîtresse aux longs yeux, se montrent ici, ô Lakchmana ! — Ces joyaux étincelans qui appartiennent à Sitâ, ces gouttes d’or tombées en désordre sur la terre avec la guirlande, — vois-les, ô mon frère ! qui jonchent le sol de toutes parts, mêlées à des gouttes de sang pareilles à de l’or fondu et qui me font peur ! — Oh ! oui, par des rakchasas changeant de forme à volonté, qui l’ont déchirée et mise en pièces, elle a été lacérée et dévorée, la pieuse Sitâ !… — Quand je serai mort du grand chagrin que me cause l’enlèvement de Sitâ, dans l’autre monde le grand roi mon père me dira : « Comment, après m’avoir promis de rester

  1. Le roi des vautours, qui semble avoir appartenu, comme Râvana, à une création antérieure, et les grands singes, conduits par Hanouman, leur chef.
  2. On retrouve la même pensée dans l’épisode de Nala ; mais c’est Damayanti qui adresse ces paroles à son époux, qui l’a lâchement abandonnée : « Tu es là, tu es là, ou te voit bien ; oh ! prince, je te vois ; caché là derrière des broussailles, pourquoi ne me réponds-tu pas ?… » Mahâbhârata, chant du Vanaparva, épisode de Nala, lecture 63e.