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une fois admis, on peut encore signaler dans notre système quelques imperfections, mais que l’expérience a jusqu’à un certain point justifiées, et qui ne peuvent donner lieu qu’à des réformes secondaires, dont l’opportunité est la meilleure règle.

J’arrive à la dernière, à la plus importante des grandes mesures qui ont signalé l’administration de sir Robert Peel, l’abolition des droits sur les grains et sur les denrées alimentaires en général. Tout le monde sait que M. Guizot n’a pas fait de la science économique l’objet de ses études spéciales ; assez illustre à d’autres égards pour ne pas prétendre à une aptitude encyclopédique, il a toujours laissé à d’autres, dans les cabinets qu’il a formés, le gouvernement des intérêts matériels, se réservant ce qui lui convenait le mieux, la conduite des intérêts moraux. Il n’en a pas moins tracé, dans sa biographie de sir Robert Peel, le récit le plus complet qui ait paru de ce qui a amené la réforme des douanes en Angleterre. Il est vrai que, dans ce grand mouvement d’opinion qui a fini par entraîner le premier ministre, tout n’est pas exclusivement économique ; le triomphe d’une idée juste et féconde a été obtenu par une de ces crises majestueuses qui mettent en jeu toutes les forces vives des peuples libres, et dont M. Guizot excelle à peindre et à démêler les ressorts. C’est surtout le côté politique de la question qu’il s’est attaché à décrire, et avec raison ; quiconque n’y voit que le côté économique ne la connaît qu’à moitié.

Au point de départ, quelque versé qu’il fût dans la science de l’économie politique, sir Robert Peel était fortement opposé à la réforme des corn laws. Il avait souvent rappelé, dans la chambre des communes, ces paroles de M. Huskisson, un des premiers et des plus illustres promoteurs des idées de liberté commerciale : « Je n’ai nul désir de mettre en vigueur des principes nouveaux quand les circonstances n’en provoquent pas l’application ; une expérience déjà longue des affaires publiques m’a appris et chaque jour m’apprend encore qu’en présence des intérêts si vastes et si complexes de ce pays, les théories générales, quelque incontestables qu’elles soient abstractivement, ne doivent être appliquées qu’avec une extrême circonspection, en tenant compte de l’état actuel de la société, et avec de grands ménagemens pour tous les établissemens qui se sont formés dans son sein. » En rappelant ces sages idées d’un réformateur habile et heureux, sir Robert Peel expliquait sa propre conduite : il avait soin de mettre en pratique les principes économiques toutes les fois que les circonstances lui paraissaient favorables ; mais dès qu’il s’agissait des lois sur les grains, il s’arrêtait. Représentant du parti agricole et tory, qui croyait son existence engagée dans le maintien de ces lois, il ne s’attribuait pas le droit de faire violence à des