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l’opposition, s’en serait donné à cœur joie, et on aurait aisément persuadé à bon nombre de badauds que des ministres prévaricateurs avaient vendu leur pays à l’étranger. On brave ces accusations quand il le faut, c’est le devoir de tout homme public ; mais quand ce n’est pas absolument nécessaire, quand on a mille autres affaires plus pressées sur les bras, quand on est sûr d’avance de succomber et de compromettre par une tentative inopportune de plus grands intérêts, on a raison de s’abstenir. Ce n’est pas là ce qui a fait tort à la monarchie ; on peut même dire avec raison que si elle avait voulu ajouter ce progrès-là à tous les autres, elle aurait succombé plus tôt. La gloire de sir Robert Peel reste donc entière, sans qu’il en rejaillisse aucune défaveur sur les hommes d’état français ses contemporains. Départ et d’autre, on a fait ce qu’on a pu, ce qu’il y avait de mieux à faire. Pour accomplir la réforme douanière, qui était alors le principal besoin du peuple anglais, sir Robert Peel a été forcé de négliger des améliorations secondaires ; de même en France, pour mener à bien d’autres entreprises plus immédiatement utiles malgré la résistance des partis hostiles, on a dû ajourner ce qui n’aurait donné que des embarras sans résultat.

Allons plus loin, et supposons que, par un tour de force sans exemple dans les pays constitutionnels, le gouvernement eut enlevé cette réforme dont personne ne voulait : qu’y eût-il gagné ? Croit-on qu’elle eût suffi pour satisfaire le peuple ou ceux qui parlaient en son nom ? Certainement nous aurons quelque jour une liberté commerciale plus complète, nous avons déjà, grâce à la cherté, la libre introduction des céréales et des autres denrées alimentaires. Voit-on que les conséquences en aient été bien subites pour les classes populaires ? Ce qui est fait n’a répondu ni aux craintes des uns ni aux espérances des autres ; le bien produit, quoique réel, est peu sensible ; ce qui reste à faire aura des effets analogues, du moins en commençant. Les mesures utiles ont rarement un caractère révolutionnaire. Il a fallu sept ans au free trade anglais pour porter toutes ses conséquences actuelles, et bien que l’Angleterre fût infiniment plus préparée que nous à en tirer parti, ces conséquences elles-mêmes, si grandes qu’elles soient, ne répondent pas aux exigences de nos utopistes. Il faut tout l’esprit pratique des Anglais pour s’en contenter.

L’amélioration de la condition matérielle et morale du plus grand nombre est une œuvre immense, conséquemment lente, progressive, qui ne doit jamais être interrompue, mais qu’on retarde en voulant trop la précipiter. Ce n’est pas ainsi que la conçoivent et surtout que la concevaient en 1847 de fanatiques espérances. Tout est froid et impuissant auprès de pareilles illusions. Il n’y a que l’expérience, avec ses terribles leçons, qui puisse ramener au vrai, elle ne suffit