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réciproques des deux plus puissantes nations du monde, se connaissaient et s’estimaient personnellement. De là cette cordiale entente dont on a tant parlé dans le temps, soit pour s’en féliciter, soit pour s’en plaindre, et qui a eu de si heureux effets pour la prospérité des deux peuples et de tous les peuples par l’influence de la paix et de la justice, arborées comme règles de la politique internationale, sur la civilisation universelle. Lord Palmerston, ministre des affaires étrangères du cabinet précédent, avait blessé la France en s’alliant avec la Russie, l’Autriche et la Prusse, pour étouffer en Orient la puissance naissante du pacha d’Egypte contre l’opinion hautement professée de notre gouvernement. Cet acte de mauvais voisinage avait réussi ; la France, obligée d’abandonner le pacha ou de tirer l’épée pour le défendre contre toute l’Europe, n’avait pas cru devoir courir les chances d’une guerre générale pour un pareil motif, mais en avait conservé un amer ressentiment. Les nations ne sont pas obligées de distinguer entre les différens ministres des pays étrangers ; c’est à l’Angleterre qu’on s’en prenait en France de l’acte de lord Palmerston ; sir Robert Peel et lord Aberdeen le savaient, et, bien qu’ils n’eussent pris aucune part au traité du 15 juillet 1840, ils comprirent qu’il était de leur devoir d’en effacer autant que possible la pénible impression.

Par la nature de son gouvernement et encore plus par l’extrême liberté de discussion qu’elle peut supporter sans danger, l’Angleterre a ce privilège, qu’elle produit en même temps des représentans de toutes les opinions comme de toutes les conduites, et qu’elle peut passer de l’un à l’autre, suivant les circonstances. Le même pays renferme à la fois un Nelson qui brûle Copenhague par le plus odieux des attentats et un Wilberforce qui consacre sa vie entière à l’affranchissement des pauvres noirs. Une opposition analogue, quoique moins tranchée, peut être signalée entre lord Palmerston et lord Aberdeen : autant l’un avait été avec nous dédaigneux et agressif, autant l’autre s’est montré amical. Dans les diverses difficultés qui se sont élevées entre les deux pays, de 1841 à 1846, c’est toujours l’Angleterre qui a cédé, comme la plus sage, la plus libre dans son action, et surtout comme ayant quelque chose à nous faire oublier. Ce n’est pas ainsi que l’injuste passion du temps a jugé les faits, c’est ainsi que l’impartiale postérité les jugera. J’en choisis pour preuve la plus éclatante de ces affaires, celle qui a fait le plus de bruit et qu’on ne rougit pas de rappeler de temps en temps pour réveiller des haines posthumes, la fameuse affaire Pritchard.

Je suppose que, dans une île quelconque de l’Océan, à Taïti par exemple, des missionnaires français eussent importé notre religion, notre langue et nos mœurs, qu’ils eussent en partie civilisé des sau-