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instant de petits témoignages d’affection ; vos petites filles font pour elle un nombre infini de paniers en tapisserie, de coussins, de tabourets. Quel bon feu dans la chambre lorsqu’elle vient vous rendre visite ! Votre femme s’en passe quand elle lace son corset. La maison pendant tout le temps de cette visite prend un air propre, agréable, comfortable, joyeux, un air de fête qu’elle n’a point en d’autres saisons. Vous-même, mon cher monsieur, vous oubliez d’aller dormir après dîner, et vous vous trouvez tout d’un coup (quoique vous perdiez invariablement) très amoureux du whist. Quels bons dîners vous offrez ! Du gibier tous les jours, du madère-malvoisie, et régulièrement du poisson de Londres. Les gens de cuisine eux-mêmes prennent part à la prospérité générale. Je ne sais pas comment la chose arrive, mais pendant le séjour du gros cocher de miss Mac-Whirter la bière est devenue beaucoup plus forte, et dans la chambre des enfans (où sa bonne prend ses repas) la consommation du thé et du sucre n’est plus surveillée du tout. Cela est-il vrai ou non ? J’en appelle aux classes moyennes. Ah ! pouvoirs célestes ! que ne m’envoyez-vous une vieille tante, — une tante fille, — une tante avec une voiture blasonnée et un chapeau couleur café clair ! — Comme mes enfans broderaient pour elle des sacs à ouvrage ! comme ma Julia et moi nous serions aux petits soins pour elle ! Douce, — douce vision ! — Ô vain, trop vain rêve ! »


Il n’y a pas à se méprendre. Le lecteur le plus décidé à ne pas être averti est averti. Quand nous aurons une tante à grosse succession, nous estimerons à leur juste valeur nos attentions et notre tendresse. L’auteur a pris la place de notre conscience, et le roman, transformé par la réflexion, devient une école de mœurs.

On fouette très fort dans cette école ; c’est le goût anglais. Des goûts et des verges, il ne faut pas disputer ; mais sans disputer on peut comprendre, et le plus sûr moyen de comprendre le goût anglais est de l’opposer au goût français.

Je vois chez nous, dans un salon de gens d’esprit ou dans un atelier d’artistes, vingt personnes vives : elles ont besoin de s’amuser, c’est là leur fond. Vous pouvez leur parler de la scélératesse humaine, mais c’est à la condition de les divertir. Si vous vous mettez en colère, elles seront choquées ; si vous faites la leçon, elles bâilleront. Riez, c’est ici la règle, non pas cruellement et par inimitié visible, mais par belle humeur et par agilité d’esprit. Cet esprit si leste veut agir ; pour lui, la rencontre d’une bonne sottise est la rencontre d’une bonne fortune. Comme une flamme légère, il glisse et gambade par subites échappées sur la surface effleurée des objets. Contentez-le en l’imitant, et pour plaire à des gens gais, soyez gai. — Soyez poli, c’est le second commandement, tout semblable à l’autre. Vous parlez à des gens sociables, délicats, vaniteux, qu’il faut ménager et flatter. Vous les blesseriez en essayant d’emporter leur conviction de force, à coups pressés d’argumens solides, par