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sanctuaire. En présence de Laura résignée, pieuse, il s’arrête. « Comme elle faisait son devoir en silence, et que, pour obtenir la force de l’accomplir, elle priait toujours seule et loin de tous les regards, nous aussi nous devons nous taire sur des vertus qui s’offensent du grand jour, pareilles à des roses qui ne sauraient fleurir dans une salle de bal. » Comme Dickens, il a le culte de la famille, des sentimens tendres et simples, des contentemens tranquilles et purs qu’on goûte au coin du foyer domestique, entre un enfant et une femme. Lorsque ce misanthrope si réfléchi et si âpre rencontre un épanchement filial ou une douleur maternelle, il est blessé à l’endroit sensible, et, comme Dickens, il fait pleurer[1].

On a des ennemis parce qu’on a des amis, et des aversions parce qu’on a des préférences. Si l’on préfère la bonté dévouée et les affections tendres, on prend en aversion l’arrogance et la dureté; la cause de l’amour est aussi la cause de la haine, et le sarcasme, comme la sympathie, est la critique d’une forme sociale et d’un vice public. C’est pourquoi les romans de Thackeray sont une guerre contre l’aristocratie. Comme Rousseau, il a loué les mœurs simples et affectueuses; comme Rousseau, il hait la distinction des rangs.

Il a écrit là-dessus un livre entier, sorte de pamphlet moral et demi-politique, le Livre des Snobs. Nous n’avons pas le mot, parce que nous n’avons pas la chose. Enfant des sociétés aristocratiques, le snob, perché sur son barreau dans la grande échelle, respecte l’homme du barreau supérieur et méprise l’homme du barreau inférieur, sans s’informer de ce qu’ils valent, uniquement en raison de leur place; du fond du cœur, il trouve naturel de baiser les bottes du premier et de donner des coups de pied au second. Thackeray énumère tout au long les suites de cette habitude. Écoutez la conclusion :


« Je ne puis supporter cela plus longtemps. — Cette diabolique invention des mœurs nobiliaires, qui tue la bonté naturelle et l’amitié honnête! juste fierté, n’est-ce pas? rang et préséance? Bon Dieu! La table des rangs et des distinctions est un mensonge, et devrait être jetée dans le feu. Organiser les rangs et les préséances! cela était bon pour les maîtres de cérémonies des anciens âges. Vienne maintenant quelque grand-maréchal pour organiser l’égalité! »


Puis il ajoute avec un bon sens, une âpreté et une familiarité tout anglaises :


« Si jamais nos cousins les Smigmags m’invitaient en même temps que

  1. Voyez, par exemple, dans The Great Hoggarty Diamond, 121, la mort du petit enfant. — dans le Livre des Snobs, voyez la dernière ligne : Fun is good, truth is still better, and love lest of all.