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wood : « Ce bonheur ne peut être écrit avec des paroles. Il est de sa nature sacré et secret. On ne peut en parler, si pleine que soit la reconnaissance, excepté à Dieu, et à un seul cœur, — à la chère créature, à la plus fidèle, à la plus tendre, à la plus pure des femmes qui ait été accordée à un homme. Et quand je pense à l’immense félicité qui m’était réservée, à la profondeur et à l’intensité de cet amour qui m’a été prodigué pendant tant d’années, j’avoue que je ressens un transport d’étonnement et de gratitude pour une telle faveur. — Oui, et je suis reconnaissant d’avoir reçu un cœur capable de connaître et d’apprécier la beauté et la gloire immense du don que Dieu m’a fait. Sûrement l’amour vincit omnia; il est à cent mille lieues au-dessus de toute ambition, plus précieux que la richesse, plus noble que la gloire. Celui qui l’ignore ignore la vie; celui qui n’en a pas joui n’a pas senti la plus haute faculté de l’âme. En écrivant le nom de ma femme, j’écris l’achèvement de toute espérance et le comble de tout bonheur. Avoir possédé un tel amour est la bénédiction unique. Auprès d’elle toute joie terrestre est nulle. Penser à elle, c’est louer Dieu. »

Un caractère capable de tels contrastes est une grande œuvre; on se souvient que Thackeray n’en a point fait d’autre; on regrette que les intentions morales aient détourné du but ces belles facultés littéraires, et l’on déplore que la satire ait enlevé à l’art un pareil talent.

Qui est-il, et que vaut cette littérature dont il est un des princes? Au fond, comme toute littérature, elle est une définition de l’homme, et pour la juger il faut la comparer à l’homme. Nous le pouvons en ce moment; nous venons d’étudier un esprit, Thackeray lui-même; nous connaissons ses facultés, leur liaison, leurs suites, leur degré; nous avons sous les yeux un exemplaire de la nature humaine. Nous avons le droit de juger de la copie par l’exemplaire et de contrôler la définition que ses romans rédigent par la définition que son caractère fournit.

Les deux définitions sont contraires, et son portrait est la critique de son talent. On a vu que les mêmes facultés produisent chez lui le beau et le laid, la force et la faiblesse, le succès et la défaite; que la réflexion morale, après l’avoir muni de toutes les puissances satiriques, le rabaisse dans l’art; qu’après avoir répandu sur ses romans contemporains une teinte de vulgarité et de fausseté, elle relève son roman historique jusqu’au niveau des plus belles œuvres; que la même constitution d’esprit lui enseigne le style sarcastique et violent avec le style tempéré et simple, l’acharnement et l’âpreté de la haine avec les effusions et les délicatesses de l’amour. Le mal et le bien, le beau et le laid, le rebutant et l’agréable, ne sont donc en lui que des effets lointains, d’importance médiocre, nés par la rencontre de