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de déplacement de pouvoir qui s’est opéré par suite des derniers événemens. Si on cherche en effet où est aujourd’hui l’autorité, il est bien clair qu’elle n’est point dans le cabinet, elle est surtout au palais, et au palais s’agitent toujours bien des influences qui ne conspirent pas précisément pour le triomphe des idées libérales. Est-ce à dire que la reine elle-même nourrisse l’arrière-pensée d’être autre chose qu’une souveraine constitutionnelle, ou qu’elle autorise ces projets de fusion dynastique dont le premier résultat serait de la déposséder ? Non sans doute ; la reine a retrouvé son ascendant, et elle en use, maintenant au pouvoir le général Narvaez sans décourager des absolutistes plus fervens, comme aussi sans retirer sa bienveillance au général O’Donnell, et se réservant en fin de compte de choisir. Bien d’autres personnes d’ailleurs se servent de cet ascendant de la royauté pour des fins plus compromettantes. En un mot, c’est une sorte d’interrègne politique durant lequel tout s’agite et rien ne marche. Le président du conseil le sent bien, il sent aussi que s’il serrait de trop près cette situation, le sol manquerait sous ses pieds, et il s’abstient, sans doute pour ne point livrer les questions les plus sérieuses aux chances d’une crise nouvelle. Ce n’est pas tout encore ; le général Narvaez n’est point seul dans le cabinet, et on peut se demander si quelques-uns de ses collègues sont une force pour lui. Le ministre de l’intérieur, M. Nocedal, le ministre des finances, M. Barzanallana, le général Lersundi savent où est le pouvoir, et ils vont là où ils croient trouver le plus de faveur ; ils n’ignorent pas qu’il y a des influences puissantes au palais, et ils les subissent. Ils ménagent l’avenir, et en attendant ils s’emploient moins peut-être à restaurer l’administration espagnole qu’à placer leurs créatures ou leurs amis. Il est tel journal satirique de Madrid dont tous les rédacteurs ont été jetés dans les fonctions publiques. Il suffit d’être l’allié de tel personnage pour avoir droit aussitôt aux plus hautes positions.

Il est enfin une troisième et essentielle cause de faiblesse pour le ministère, c’est l’éparpillement complet de toutes les opinions modérées. Le parti conservateur espagnol reste malheureusement plus divisé que jamais. Toutes ces nuances qui se sont développées depuis quelques années subsistent encore, même après l’épreuve d’une disgrâce commune. La plus considérable, la plus sérieuse par le talent est celle de M. Bravo Murillo ; à côté est la fraction du général Roncali, de M. Llorente. Le comte de San-Luis, qui vient d’arriver à Madrid, a lui-même ses partisans, peu nombreux il est vrai, mais remuans et actifs. Tous ces hommes ne sont point absolument en opposition avec le général Narvaez ; seulement ils ne l’appuient pas, ils se gardent de le défendre, ils critiquent même, non sans raison, plus d’un acte du gouvernement ; ils observent les signes de décomposition du cabinet, et, sans laisser éclater leur hostilité, ils refusent de voir en M. Nocedal et M. Barzanallana la représentation la plus exacte du parti conservateur. D’un autre côté, le général Narvaez peut-il se tourner vers les libéraux modérés qui comptent dans leurs rangs O’Donnell, M. Rios-Rosas ? Les ministres ont pris soin d’exclure les vicalvaristes de toutes les positions ; ils ont affecté de se proclamer les uniques restaurateurs du trône. Les libéraux modérés à leur tour rendent guerre pour guerre, de telle sorte que le général Narvaez se trouve arrêté à chaque pas, obligé de compter avec toutes les velléités du