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causes de la décadence de ce peuple, trouver le remède le plus propre à en conjurer, et, s’il se peut, à en éteindre l’action. Or, après avoir entendu M. Ranalli et l’abbé Gioberti nous exposer eux-mêmes, on a vu dans quels termes, les vrais motifs du misérable état de leur pays, il est impossible de ne pas reconnaître que la première et la plus intéressante partie de la question à résoudre est entièrement élucidée. Les causes criminelles de la perte de l’Italie ne sont plus un mystère pour personne en Italie même. Tout ce qui pense y sait, à n’en pas douter, quelles elles sont. Tout Italien d’intelligence et de cœur, avec l’auteur des Istorie et celui du Rinnovamento, accuse du malheur de son pays l’infernal instinct de division qui ne cesse depuis tant de siècles d’y opposer les princes et les peuples, les peuples entre eux, le clergé et les laïques, les paysans et les citadins, les riches et les pauvres ; l’esprit non moins funeste d’abandon en toutes choses des traditions indigènes qui va minant et effaçant de plus en plus, en religion, en politique, en littérature même, toute originalité nationale ; cette inertie fatale enfin des masses qui fait que les plus rares occasions d’affranchir et de relever l’Italie se présentent toujours en vain. Bien plus, tout le monde en 1848 a vu ces causes de destruction nationale en action, et tout le monde les a maudites. Comment donc tout le monde aujourd’hui, et les publicistes les premiers en tête, ne se retourne-t-il pas contre elles en disant : Voilà l’ennemi ! Est-ce qu’il y a autre chose à faire aujourd’hui en Italie que de ras- sembler toutes les forces de l’esprit national contre cet ennemi-là ? Est-ce que le seul, le grand, l’unique, le continuel texte des livres, discours ou journaux de la péninsule ne devrait pas être la nécessité éclatante de remporter d’abord sur cet ennemi intérieur, cent fois plus dangereux que la domination étrangère ou que le despotisme, une victoire décisive ? C’est ce que crie, ce nous semble, à tous les Italiens la voix du patriotisme, de la politique et du bon sens. Cela est tellement vrai, ce cri sort si naturellement des entrailles de la situation, que l’abbé Gioberti lui-même, au milieu du fatras du généreux, mais faux système où il s’est perdu, n’a pu s’empêcher de l’entendre, et qu’à la fin de son livre, après avoir ressassé de toutes les manières toutes les façons imaginables de relever son pays, il conclut par un mot qui ne fait que confesser l’inutilité de toute autre entreprise que celle dont nous parlons là. Ce mot, qui avant l’abbé Gioberti a été celui de Dante, de Machiavel et d’Alfieri, que de siècle en siècle tous les amis de l’Italie n’ont cessé de lui répéter, qu’il faut, hélas ! lui redire encore, et Dieu fasse à la fin qu’elle l’entende ! ce mot ne donne aux Italiens qu’un avis, mais il est bien profond dans sa simplicité : — Mutar costume, changer de mœurs.


CHARLES GOURAUD.