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désordre, horridus et incomptus, bien différent de sa renommée, dit Tacite, et j’ajouterai de ses portraits. Il faut avouer que si Othon avait, comme l’assure Juvénal, un miroir dans son bagage de guerre, il ne s’en servait pas tous les jours.

Othon n’eut le temps d’élever aucun monument ; mais la première signature qu’il donna, l’expression est de Suétone, fut pour consacrer une somme considérable à l’achèvement de la Maison-Dorée. On a peine à le comprendre, se donner comme le continuateur de Néron était un moyen de popularité. Le bas peuple, pour flatter Othon, l’appelait Néron, et lui-même joignit ce nom au sien dans ses premiers actes. Oui, il y avait une portion du peuple de Rome à qui la mémoire de Néron resta longtemps chère. Longtemps encore après le jour où il avait péri, il y eut des hommes fidèles à cette exécrable mémoire qui portèrent sur son tombeau les fleurs du printemps et de l’été. Comme je l’ai dit, la populace aimait cet empereur, qui chantait, dansait, déclamait devant elle, et courait dans le cirque pour l’amuser, qui haïssait le sénat, menaçait de le détruire et de livrer les armées et les provinces aux affranchis. L’alliance de la tyrannie et de la démocratie corrompue est naturelle. Du reste on peut croire que ces fleurs apportées au tombeau de Néron l’étaient par des esclaves et des affranchis aux cœurs d’esclaves, mais que le peuple véritable ne partageait point ces honteux regrets, car la mort de Néron fut une joie publique, et les plébéiens (plebs) coururent toute la ville coiffés du bonnet de la liberté.

Othon, tout dépravé qu’il était, montra quelques-unes des qualités d’un empereur, et mourut admirablement ; mais Vitellius, qui lui succéda, fut la honte de l’empire. On avait eu des souverains cruels et insensés, on eut un souverain crapuleux, ce qui ne l’empêchait pas d’être cruel. Sur le champ de bataille de Bedriac, l’aspect des nombreux soldats morts dans la lutte, triste spectacle qui arrachait des larmes aux légionnaires, ne l’émut point. Il fut joyeux, dit Tacite, qu’indigne cette insensibilité, et Dion Cassius nous apprend « qu’il parcourut toute la plaine où gisaient les cadavres, rassasiant ses yeux de cette vue, comme si à ce moment il eût vaincu. » Il ne les fit point ensevelir, car, disait-il, devançant le mot attribué depuis à Charles IX, le corps d’un ennemi sent toujours bon. Il fut accusé de la mort de sa mère et de son fils. Son âme était aussi basse que sanguinaire. On ne peut dire ce que dans sa jeunesse il avait été pour Tibère à Caprée ; le premier il reconnut et adora la divinité de Caligula ; les statues des affranchis de Claude figuraient parmi ses dieux domestiques. Pour gagner la protection de Messaline, il lui avait demandé un jour la permission de la déchausser, portait un soulier de cette femme sous sa toge, et de temps en temps le baisait. Pour plaire