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supplice du vertueux Bailly. On lui jette des ordures au visage, et quand il veut baisser la tête, on le force avec la pointe d’un glaive à la relever. Cette foule abrutie par le despotisme lui reproche même ses défauts corporels, sa taille démesurée, sa face enluminée, son gros ventre, la faiblesse d’une de ses jambes. Le malheureux trouva sous ces outrages un mot triste et noble. Un tribun l’insultait; Vitellius lui dit : « J’ai été ton empereur! » Enfin, quand il fut arrivé au bout de la voie Sacrée, devant l’escalier des Gémonies, on l’égorgea à petits coups, et on le traîna avec un croc dans le Tibre. En présence de ce long et barbare supplice, l’indignation et le mépris, si justement dus à la victime, se reportent sur les meurtriers. On détourne les yeux avec dégoût du lieu où ces abominations viennent de s’accomplir. Le regard alors rencontre le temple de Vespasien, dont les ruines sont tout près, Vespasien qui ne méritait pas un temple, mais qui méritait mieux le pouvoir que ses prédécesseurs, et dont le règne intelligent et vigoureux va nous reposer des misérables règnes que nous venons de traverser.

Ce règne meilleur, nous n’avons pu voir à Rome qu’une partie de ce qui l’a précédé et amené. Que de désordres, de calamités, d’horreurs! Voilà cette paix de l’empire que l’on avait payée du prix de la liberté. On voulait en finir avec les guerres civiles, et la guerre civile était dans les rues de Rome, et l’on se battait au Capitole; le Capitole brûlait, ce qui n’était jamais arrivé même dans l’incendie allumé par les Gaulois. Il périt cinquante mille hommes dans la ville et autour de la ville pendant les combats des partisans de Vitellius contre les partisans de Vespasien, et ce n’était pas seulement Rome qui était ainsi ravagée : la guerre civile avait fait le tour du monde romain; l’effroyable destruction de Crémone montre ce que coûtaient aux provinces les luttes des prétendans à l’empire. La guerre civile avait, comme dit Tacite, parcouru toutes les provinces et toutes les armées, et l’on avait pu regretter, selon lui, les luttes si sanglantes, mais moins désastreuses pour l’état, de César et de Pompée, d’Octave et d’Antoine.

Au moment d’aborder l’époque terrible d’où nous sortons. Tacite s’écrie de son ton le plus sombre : « L’histoire que je vais écrire abonde en désastres, en combats atroces, en discordes, la paix même y sera cruelle, quatre empereurs périssant par le glaive, trois guerres civiles, des guerres étrangères en plus grand nombre, et souvent en même temps la guerre étrangère et la guerre civile. » L’empire, déchiré au dedans, est menacé au dehors. Tacite continue: « Des succès en Orient, mais des revers en Occident. L’Illyrie se trouble, la Gaule chancelle, la Bretagne domptée est bien vite perdue, les Suèves et les Sarmates se soulèvent. » En effet, l’armée des