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plaisait dans le palais impérial, et habitait de préférence les jardins de Salluste. Positif et railleur, il se moquait des présages. Une comète ayant paru dans le ciel, il affirma que cela regardait le roi des Parthes, qui avait une longue chevelure ; lorsqu’il tomba malade, il dit : « M’est avis que je deviens dieu. »

Jamais portrait ne montra mieux l’homme. Son visage exprime la vigueur et la capacité, sans aucune élévation. C’est une tête ferme et carrée, comme était sa personne ; structurâ quodratâ firmisque membris, dit Suétone, qui ajoute : « Il avait l’air d’un homme qui fait un effort. » Cette énergie constamment tendue lui inspira sa dernière parole : « Un empereur doit mourir debout. » On voit aussi dans ses petits yeux percans, dans ses lèvres fines, l’expression sarcastique d’un esprit qui n’était dupe de rien. Vespasien a l’air d’un vieux général retors, bien fait, dans un temps comme le sien, pour monter de très bas à l’empire et pour s’y maintenir. Rien ne lui coûtait d’ailleurs. Il avait été très plat sous Caligula, s’était fait protéger par l’affranchi Narcisse sous Claude, avait escorté Néron dans son voyage en Grèce ; mais, s’étant endormi pendant que l’empereur chantait, il avait perdu, par cette faute involontaire, tout crédit. Vespasien avait employé tous les moyens pour parvenir ; au moins se montra-t-il digne d’être arrivé, mais il ne dépouilla jamais complètement l’abjection de sa première fortune, et sur sa toge impériale il y eut toujours un peu de la boue que Caligula s’était amusé un jour à lui faire jeter.

Il ne faut pas être trop difficile envers les empereurs romains. En voilà un du moins qui a quelques grandes qualités : d’abord les qualités guerrières. En Angleterre[1], Vespasien avait pris vingt villes et gagné trente batailles. Il savait se faire aimer des soldats sans les corrompre. Administrateur vigilant et réformateur sévère de la justice, il montra de l’humanité envers ses ennemis. La seule barbarie qu’on puisse lui reprocher, et elle étonne de sa part, c’est d’avoir fait mourir avec Sabinus sa femme Éponine, qui avait vécu près de lui neuf ans cachée dans un tombeau où elle était devenue mère de deux enfans, et qui, les montrant à Vespasien afin de l’attendrir en faveur de son mari, lui disait : « Je les ai mis au monde pour pouvoir te présenter plus de supplians. »

  1. Il semblerait que Vespasien, a laissé un fâcheux souvenir dans notre Normandie, qu’il traversa sans doute lors de son expédition dans la Grande-Bretagne et qu’il dut rançonner en passant, car encore aujourd’hui son nom y est prononcé comme une injure par les paysans. Dans certains villages de cette province, on a entendu des mères dire à leurs enfans, en manière de reproche : « Tu es un Vespasian. » Ces bonnes femmes n’avaient pas lu l’histoire, et le nom de l’empereur romain n’avait pu leur arriver que par la tradition populaire, à moins que ce ne fût un souvenir des romans du moyen âge, où figurait Vespasien, et des cruautés du siège de Jérusalem.