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le Forum, puis après les avoir exposés dans l’amphithéâtre, c’est-à-dire dans le Colisée, qu’il venait de dédier, et dont, avant les martyrs chrétiens, c’est le meilleur souvenir, il les condamnait à l’esclavage et à l’exil. Enfin il fit une chose que je préfère aux mots de lui les plus cités. Ayant découvert une conspiration, non-seulement il pardonna aux conspirateurs, mais, ce que j’admire bien plus, il envoya un messager rassurer la mère de l’un d’eux sur le sort de son fils. Ce trait, à mes yeux, vaut cent fois le fastueux pardon accordé par Auguste à Cinna.

J’ai dit de Titus tout le bien qu’en sait l’histoire, et je n’ai pas, je crois, cherché à l’atténuer; mais, je le demande de nouveau, y a-t-il là de quoi mériter d’être appelé les délices du genre humain? Il n’eut pas le temps d’en faire plus, dira-t-on; soit. Il ne faut pourtant pas trop insister sur la brièveté de son règne, car on pourrait se demander si ce règne, en se prolongeant, aurait tenu tout ce qu’il semblait promettre. Néron aussi avait bien commencé.

Ce qui me paraît distinguer surtout Titus, c’est la facilité, la bonne grâce, l’esprit. « J’ai perdu ma journée! » est un mot touchant, mais c’est surtout un mot spirituel. Titus avait une nature heureuse. Habile à tous les exercices, doué d’une mémoire extraordinaire, il réussissait aux vers, à la prose, à la musique, même il improvisait, art qui commençait à être à la mode, et dont la tradition s’est conservée en Italie jusqu’à nos jours. On craignait un Néron, on en fut quitte pour la peur, et on lui en tint compte. Il dompta ses mauvais penchans, il rassura, il séduisit ses contemporains, il a séduit la postérité.

Il ne négligeait pas de flatter les goûts favoris du peuple romain en donnant des jeux magnifiques, en prenant parti pour tel ou tel gladiateur, en faisant égorger cinq mille animaux en un jour. Il y en eut neuf mille de tués en tout à la dédicace du Colisée et des thermes de Titus, un certain nombre par des femmes. Titus fit combattre des grues pour amuser le peuple, ce qui était nouveau, et donna le spectacle d’un combat naval dans l’amphithéâtre, transformé en naumachie, ce qui était facile, puisqu’on avait à sa disposition les eaux qui alimentaient les viviers de Néron. De tels spectacles, et les billets de loterie distribués au peuple, que Titus n’eut garde d’oublier, purent bien lui compter pour quelques vertus. Les Romains lui surent beaucoup de gré de ne pas épouser Bérénice, qui était reine et Juive, deux noms odieux; Bérénice, l’incestueuse sœur d’Agrippa, moins intéressante dans Juvénal que dans Racine. Il mourut bientôt, il n’eut pas le temps de diminuer l’admiration et de lasser la faveur publique, et il fut remplacé par Domitien. Celui-ci avait tout ce qu’il fallait pour faire valoir son prédécesseur; aussi