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des traites de plusieurs millions sur les villes les plus éloignées de l’Inde. Seulement le banquier indigène ne reçoit pas de dépôts : ses transactions se bornent à échanger les monnaies, à escompter les effets, et à tirer ou accepter des lettres de change nommées hoondees, écrites dans une langue particulière. De là des difficultés insurmontables pour le placement des capitaux dans l’Inde. Et si l’on fait la part de tout ce qu’il y a d’incertain et de douteux dans les titres de propriété foncière même les mieux établis, des délais et des incertitudes que toute affaire litigieuse entraîne avec elle dans ce pays de la chicane, des faux documens et des faux témoignages, l’on ne doit pas s’étonner de l’immobilité des capitaux natifs. En dehors des grands centres, où l’on peut facilement aborder les valeurs du gouvernement, les capitaux, au lieu d’être employés utilement au développement de la richesse publique, s’accumulent incessamment en bracelets aux pieds et aux bras des femmes et des enfans, ou disparaissent plus inutilement encore dans les entrailles de la terre sous forme de trésor. De toute antiquité, ce mode barbare de disposer des économies et des labeurs du passé sans utilité pour le présent et pour l’avenir est passé dans les mœurs des souverains indiens et de leurs sujets. Longue serait la liste des trésors royaux que les baïonnettes anglaises ont déterrés sous les ruines des forteresses natives, de Seringapatnam à Burtpore. Quant aux trésors des particuliers, l’on comprend facilement qu’il soit impossible de donner des documens sérieux à ce sujet : ce n’est qu’avec la vie que l’avare livre le secret de son coffre-fort; mais tout donne lieu de croire que, même aujourd’hui, cette manie puérile est très répandue dans toutes les classes de la société indigène, et on s’explique facilement qu’elle ait résisté victorieusement aux efforts civilisateurs de la domination anglaise. L’absence de placemens sûrs, les lenteurs et les irrégularités de la justice ne sont pas les seules causes qui la perpétuent : il faut aussi tenir quelque compte des ravages que les dacoïts, ces bandits particuliers à l’Inde[1], exercent encore dans le pays. Qu’un homme ait acquis une réputation de richesse, ou vive avec les dehors de l’opulence, son trésor et sa vie sont incessamment menacés par les brigands. Aussi le favorisé de la fortune prend-il à tâche de dissimuler ses dons, et cumule en secret jusqu’au jour où, moitié superstition, moitié crainte des voleurs, il dépense sans utilité dans une fête religieuse le fruit de plusieurs années de travaux.

Les vices et les lacunes du système des voies de communication sont un autre obstacle qui, avec l’absence du capital et le taux usuraire de l’argent, concourt à entraver le développement des richesses

  1. Voyez sur les dacoïts la livraison du 15 décembre 1856.