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La récolte, qualité et quantité, dépend exclusivement du caprice des élémens : quelques heures d’un vivifiant soleil, une pluie opportune, des inondations, des coups de vent, suffisent pour couronner ou pour détruire les plus légitimes espérances. Ainsi la production de plantations limitrophes offre souvent les plus singuliers contrastes. Ici tout a souri au planteur : son fin violet, acheté pour l’industrie française, atteindra le prix le plus élevé à l’encan de la saison, tandis que l’indigo lourd et cuivré de son voisin, en petite quantité d’ailleurs, propre seulement pour les marchés du Golfe-Arabique, couvrira à peine les frais de l’exploitation. Le hasard des élémens a prononcé entre eux. Mille influences étrangères, que la prudence humaine ne peut contrôler, ont d’ailleurs une action directe sur le prix de l’indigo : en première ligne, les affaires politiques de l’Europe et les révolutions dont depuis tant d’années le vieux monde se donne le luxe périodique. Une disette de grains en France ou en Angleterre suffit même pour amener une baisse dans les prix de la teinture. Enfin, pour présenter un résumé complet des écueils qui bordent de toutes parts cette industrie aux apparences si favorables, il faut dire quelques mots des conditions économiques dans lesquelles se trouvent la majorité des fabriques. Presque tous les Européens qui abordent l’industrie de l’indigo ne possèdent aucuns capitaux à leurs débuts. La majorité des factoreries marche à l’aide d’avances faites par des maisons de Calcutta partners de l’entreprise. Ces dernières fournissent les capitaux, souvent considérables : pour certaines factoreries, il ne s’agit pas moins d’un lac de roupies, moyennant un intérêt de 12 pour 100, plus une certaine commission sur les avances et le produit de la récolte, si bien que, parmi les frais de la factorerie à déduire des bénéfices, il faut compter une prime d’environ 20 pour 100 sur les avances nécessaires à l’exploitation.

Il faut encore, parmi les chances contraires de l’industrie de l’indigo, faire entrer les brusques mouvemens de hausse et de baisse qui se produisent dans la valeur des factoreries. La loi qui défend aux Européens de posséder dans l’Inde des propriétés foncières, et le partage des terres fait par lord Cornwallis à la fin du dernier siècle, ont beaucoup contribué à entretenir cet état de fluctuation. En achetant à beaux deniers comptans une factorerie, l’Européen n’achète en effet, outre les bâtimens de logement ou de service, que la bonne volonté des ryots environnans, accoutumés depuis nombre d’années à semer l’indigo sur des terrains plus ou moins favorables. Dans cette position pleine d’incertitude, en présence d’un zemindar jaloux du nouveau venu étranger et habitué d’ailleurs à soutenir par la violence ses droits et ses prétentions, au milieu d’une population de ryots pleine de mauvaise foi, habile à toutes les ruses