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de le remettre entre les mains du prince vice-roi. Le major-général, en l’entendant, fut consterné. Il lui représenta l’effet désastreux que sa détermination allait produire sur l’armée, la juste douleur qu’en ressentirait l’empereur, et le conjura de revenir sur sa funeste détermination. Le roi répondit que sa décision était prise et qu’il allait partir. « Mais, sire, répondit Berthier, le prince vice-roi n’est pas encore ici, et l’armée ne peut rester un seul moment sans chef[1]. »

Le prince arriva le soir même, et il y eut entre lui et le roi de Naples une scène extrêmement vive. Eugène parla avec l’éloquence d’une âme indignée. Il dit au roi qu’abandonner l’armée dans l’état de détresse où elle était, en face d’un ennemi audacieux, sous les yeux de l’Allemagne frémissante et déjà presque hostile, c’était trahir les intérêts de l’empereur, leur bienfaiteur à tous ; que, quant à lui, il refusait le commandement, parce qu’il ne se croyait pas plus le droit de l’accepter des mains du roi qu’il ne reconnaissait au roi celui de le lui offrir. Murat fut inflexible, ses voitures étaient prêtes ; dès-lors, il ne resta plus aux maréchaux qu’à vaincre les scrupules du vice-roi et à le presser, sous leur responsabilité, de prendre le commandement. Il s’y résigna enfin, mais il entendit ne l’accepter que des mains des maréchaux.

Cet acte d’abandon de la part d’un homme qu’il aimait et qui méritait d’être aimé pour sa bonté naturelle et sa bouillante valeur, auquel il avait donné la main de sa sœur Caroline et un trône, remplit d’amertume le cœur de Napoléon. Quel exemple pour tous ses lieutenans, pour cette foule de princes dont la fidélité chancelait déjà ! Plus calme dans sa douleur qu’on n’aurait pu l’attendre d’une âme aussi véhémente, il se contenta d’écrire au roi de Naples : « J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort ; si vous faisiez ce calcul, il serait faux. Vous m’avez fait tout le mal que vous pouviez me faire depuis mon départ de Wilna. Lorsque vous n’êtes pas devant l’ennemi, vous êtes j)lus faible qu’une femme. Le titre de roi vous a tourné la tête. »

L’empereur confirma l’élévation du prince Eugène au poste de commandant de l’armée. Le premier acte du nouveau généralissime fut de se mettre en mesure d’appuyer Schwarzenberg, Régnier et les places de la Vistule. Il venait de recevoir des renforts. Il réunit en une seule masse tout ce qu’il avait d’hommes disponibles, environ 12 ou 15,000 hommes, dont 1,500 de cavalerie ; il y joignit 25 pièces de canon, et les employa à couvrir ses communications avec Varsovie. Cependant d’épaisses colonnes russes débouchaient de tous côtés, et ce n’était pas avec une si petite armée qu’il pouvait espérer de les ontenir.

  1. Lettre du major-général à l’empereur, 16 janvier. (Dépôt de la guerre.)