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Pendant les retards que provoquèrent les résistances de la cour des directeurs, la mesure de l’émancipation avait porté ses fruits, et la ruine totale des colonies devenait imminente, si l’immigration n’était pas organisée sans délai sur une vaste échelle. Le 25 juin 1842 parut un ordre de la reine en son conseil, qui prescrivait au conseil suprême de l’Inde de prendre les mesures nécessaires pour autoriser et régulariser l’immigration, mesures qui furent définitivement promulguées par une ordonnance du conseil de l’Inde en date du 2 septembre de la même année. Les autorités de la compagnie prirent soin de définir dans les plus étroites limites les pouvoirs de l’officier chargé de surveiller à Calcutta les détails de l’immigration. Ce chef de service est nommé par le gouverneur de Maurice, et reçoit du budget de cette colonie un salaire fixe indépendant du nombre des émigrans expédiés dans l’année. Ses fonctions sont exclusivement celles d’un officier recruteur. Il s’assure du bon état de santé et de la validité du travailleur qui s’offre pour l’immigration; il lui donne des renseignemens sur le résultat probable de ses labeurs; il veille surtout à ce que l’émigrant ne soit lié par aucun engagement à l’époque de son débarquement. Tout contrat passé par le travailleur avant d’avoir séjourné quarante-huit heures dans la colonie est nul de fait. En un mot, l’agent de l’immigration exerce la plus stricte surveillance pour que le coolie ne soit lié qu’envers le gouvernement par un contrat dont les termes peuvent se définir ainsi : un passage gratuit d’aller et de retour, avec quelques objets d’habillement et de literie, est assuré au coolie qui s’engage à travailler cinq ans dans la colonie de Maurice. Il faut ajouter que, si une fois rendu à destination, le coolie trouve plus avantageux de se livrer à quelque petite industrie que de s’engager au service d’un planteur, il peut suivre son penchant à la condition d’acquitter une taxe légère et mensuelle pour rembourser le trésor colonial de ses frais de voyage. L’un des devoirs les plus importans du chef de l’immigration, c’est de tenir la main à ce que les capitaines de navire qui doivent embarquer des coolies se conforment aux règlemens pleins d’humanité et de sollicitude qui définissent le nombre des passagers, leur ration, etc., de la façon la plus minutieuse[1]. D’une part, en effet,

  1. Le prix du passage de Calcutta à Maurice varie de 25 à 40 roupies; il est de 140 roupies environ pour Demerari et la Trinité. De mai 1850 à mai 1851, 23 navires chargés de 5,952 coolies sont partis pour Maurice; 1 navire avec 173 coolies, pour la Trinité; 2 navires avec 525 coolies, pour Demerari. Trois ans après, en 1854-55, 29 navires partaient de l’Inde pour Maurice avec 8,059 coolies; 8, avec 2,268 coolies, pour Demerari; 1, avec 286 coolies, pour la Trinité. Des statistiques antérieures portent à 49,000 le nombre des émigrans qui ont quitté le seul port de Calcutta pour les colonies anglaises, des premiers jours de l’immigration jusqu’en 1850. Pendant ces douze dernières années, une population de près de 100,000 Indiens du Bengale a tenté les chances de l’expatriation. L’immigration se fait aussi de Madras sur une échelle beaucoup moindre, et atteint à peine le tiers de celle du Bengale. Il est à remarquer toutefois que les quatre cinquièmes au moins de ces travailleurs sont allés porter à Maurice leur naïve industrie, et sous l’influence de cette main-d’œuvre vivifiante, l’on ne doit pas s’étonner que la production sucrière de l’ile ait de beaucoup dépassé ce qu’elle était aux jours les plus florissans de l’esclavage. Les résultats de l’immigration du Bengale, tous favorables en ce qui concerne la colonie de Maurice, le sont beaucoup moins pour Demerari et les Antilles. Les hauts frais et la longueur du voyage, les rigueurs du climat aux latitudes du Cap, enfin le peu de coolies revenus après l’expiration de leur engagement, 5 pour 100 au plus, sont des motifs qui expliquent que le courant de l’immigration se dirige exclusivement vers Maurice, et que les colonies de l’Amérique ne participent que faiblement au bénéfice du travail indien.