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geurs religieux qui viennent, par centaines de mille chaque année, visiter les villes sacrées de Bénarès, Pooree, Gya. On ne préjugera pas toutefois trop favorablement de l’intelligence de ces pèlerins en disant qu’ils finiront sans doute par comprendre qu’outre la rapidité et le comfort du voyage, on n’a pas dans un wagon à redouter la rencontre des thugs, des empoisonneurs, de tous ces malfaiteurs en un mot qui infestent les grandes routes de l’Inde. Il est à remarquer d’ailleurs que, partout où des sections ont été ouvertes, les natifs y sont accourus avec enthousiasme. Ainsi au mois d’août 1854, lorsque la circulation venait de s’établir sur la ligne de Calcutta à Hoogly, on voyait les Hindous se presser au débarcadère par centaines et monter à l’envi dans les wagons, non pas toutefois sans adresser à la locomotive fumante un salut timide et respectueux, comme s’ils eussent voulu gagner les bonnes grâces de quelque démon puissant et familier. Notons aussi cet avertissement plein de couleur locale affiché sur les murs de la gare d’Howrah : « Les personnes qui désirent prendre des places de premières ou de secondes doivent avoir une tenue décente ; » tenue décente, — une chemise !

Si, pour apprécier le mouvement probable des voyageurs sur les chemins de fer de l’Inde, l’on est obligé d’entrer dans un champ d’hypothèses assez étendu, l’on peut parler avec plus de certitude des marchandises dont les voies ferrées, à peine ouvertes, auront à faire le transport. En 1854, le commerce du continent indien, qui est venu se concentrer dans les deux entrepôts de Bombay et de Calcutta, a dépassé la somme de 50 millions sterling. C’est là sans doute un chiffre considérable ; on peut toutefois affirmer, sans crainte d’être démenti par l’événement, que le commerce de l’Inde est loin d’avoir acquis tout le développement qu’il atteindra infailliblement lorsque des moyens de transport sûrs et faciles auront été assurés aux marchandises. Comme on l’a déjà fait observer, le système des voies de communication de l’Inde est demeuré jusqu’à ces derniers temps à l’état de nature ; aujourd’hui même, tout le mouvement commercial en dehors de l’artère du Great trunk Road s’opère à travers des sentiers à peine battus ou sur des rivières dangereuses, navigables seulement à certaines saisons de l’année. De là des frais énormes de transport et des lenteurs qui entravent d’une manière si déplorable les transactions commerciales, que l’on doit compter en première ligne parmi les sources de recettes des chemins de fer indiens le transport des marchandises. Ainsi, dans le Bas-Bengale, presqu’aux portes de Calcutta, les charbons des environs de Burdwan, les indigos du Tirhoot, les opiums de Bénarès et de Patna, fourniront dès le début aux rail-ways des élémens de revenu dont personne ne saurait contester l’importance.