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niqua sa gaieté et son entrain, joua gros jeu, perdit noblement, et, au milieu de l’abandon des causeries familières, sut démêler les intentions des chefs. De retour à Posen, il raconta au vice-roi tout ce qu’il avait vu, entendu, deviné. « Le prince de Schwarzenberg, lui dit-il, ne songe qu’à se retirer le plus vite possible sur la Galicie ; il ne brûlera pas une amorce : il est de connivence avec les Russes. » En effet, malgré les vives instances du prince Eugène, le commandant du corps auxiliaire évacua, dans la journée du 5 février, Varsovie, que les Russes occupèrent immédiatement.

De son côté, le général Bulow, qui formait notre aile gauche à Graudentz avec 10,000 Prussiens, avait dû, pour n’être point débordé par les Russes, quitter cette position avancée et se retirer avec son corps sur Newstettin, de manière à rester en ligne avec le vice-roi. C’en était fait de la ligne de la Vistule ; elle fut occupée tout entière par les Russes.

La perte de Varsovie et du grand-duché nous enlevait le concours d’une population guerrière et dévouée, et mettait à la disposition de nos ennemis d’immenses ressources en hommes, en chevaux, en fourrages et en subsistances ; elle entraînait d’autres conséquences plus graves encore. L’empereur Alexandre poursuivait un but plus grand que celui de nous déposséder de la ligne de la Vistule ; il voulait se porter directement sur la frontière de la Silésie, montrer ses soldats aux Prussiens, qui les attendaient comme des libérateurs, provoquer un soulèvement en masse, et de gré ou de force entraîner le roi. Il était pour nous de la plus haute importance de déjouer ce hardi dessein, et nous ne le pouvions qu’en conservant et en défendant opiniâtrement la ligne de l’Oder ; mais pour nous trouver partout en forces sur cette ligne, il nous fallait absolument la coopération du corps auxiliaire, des Polonais de Poniatowski et des Saxons de Régnier. Il s’agissait d’obtenir que ces trois corps d’armée, qui présentaient une masse de 40,000 hommes, consentissent à lier leurs mouvemens avec les nôtres, et effectuassent leur retraite, non sur Cracovie, qui les mènerait en Galicie, mais sur Kalish, où leur gauche viendrait appuyer la droite du vice-roi.

Ecartant les sinistres présages apportés par le jeune commandant de Labédoyère, le vice-roi écrivit, le 31 janvier et le 3 février[1], au prince de Schwarzenberg deux lettres très pressantes, dans lesquelles il le supplia de concerter ses mouvemens avec les siens et de se replier sur Kalish et Posen. Il lui assura que, dans dix jours, il aurait 40,000 baïonnettes, et qu’ils seraient ainsi en mesure l’un et l’autre d’en opposer 80,000 aux Russes, qui certainement n’en auraient pas autant sur le même point. La ligne de la Vistule étant

  1. Dépôt de la guerre.