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sauf dans quelques sermons de pure théologie, n’y tiennent que la seconde place. La morale est au premier rang. La dialectique, que Bourdaloue introduit dans la chaire, rend l’enseignement religieux plus accessible. Enfin ce que les contemporains racontent de son action achève d’expliquer son succès, un des plus éclatans et des plus soutenus qu’ait obtenus la parole humaine.

Le dogme s’impose à nous sans nous consulter. Le prédicateur moraliste se sert de nous contre nous-mêmes, et, par un de ces mille détours de l’amour-propre qui trouve son compte même aux coups qu’il reçoit, il ne peut pas nous faire voir notre fonds sans nous y intéresser, ni nous accuser sans nous flatter, par le prix qu’il met à notre innocence. Quand c’est de nous qu’il nous parle, fût-ce avec sévérité, ce n’est pas sans douceur que nous sommes mécontens de nous. Notre conscience croit se décharger en confessant la vérité de ses peintures. S’agit-il d’autrui, nous y prenons un double plaisir, celui de n’être pas dans le cas signalé par le prédicateur et celui d’y voir les autres. Un prédicateur moraliste est donc sûr du succès. A cet effet général et certain de la morale dans les sermons de Bourdaloue, il s’en joignait deux autres, la hardiesse de la censure et l’attrait des allusions.

«Jamais prédicateur évangélique, écrit Mme de Sévigné, n’a prêché si hautement et si généreusement les vérités chrétiennes[1]. » Il n’y a peut-être plus de société assez forte pour entendre impunément une telle parole. Il fait beau voir comme il traite les grands, les courtisans, les riches, de quel prix il entend qu’ils paient leurs privilèges, en quels termes il leur enjoint de faire l’aumône, non par caprice, ni à leurs momens, ni après la part faite à leurs plaisirs, mais par devoir, mais selon leurs moyens qu’il évalue; avec quelle audace il va les menaçant des comptes qu’ils auront à rendre à Dieu, « le caissier des pauvres. » A la vérité, dans cette hardiesse contre les grands, il n’a pas de lâches complaisances pour les petits. Les uns et les autres sont dans l’ordre de Dieu, et si les petits ont des droits, c’est à Dieu seul qu’il appartient de les faire valoir. Ce n’est pas d’ailleurs au nom des opinions humaines que Bourdaloue condamne les riches, c’est au nom du maître commun des riches et des pauvres; la misère des uns n’est jamais autorisée à se faire justice de l’avarice des autres.

Les allusions ajoutaient à la sévérité de ces censures. « Le sermon du père Bourdaloue, dit encore Mme de Sévigné, était d’une force à faire trembler les courtisans. » Et ailleurs : « Le Bourdaloue frappe comme un sourd. «Et dans une autre lettre : « Je m’en vais en Bour-

  1. Lettre du 5 février 1674 à sa fille.