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sait ces idées en avant, qui les rangeait comme des pièces, ou qui achevait les peintures que les mots n’avaient qu’ébauchées. Combien ne s’est-il pas perdu d’accent et de couleur sous les voûtes des églises qui entendirent Bourdaloue?

Quant à sa méthode, nous sommes bien plus touchés de ses excès que de sa commodité. J’ai bien de la peine à me faire à un appareil de divisions comme celui-ci : « 1° Le comble de notre misère; — 2° l’excès de notre misère; — 3° le prodige de notre misère; — 4° la malignité de notre misère; — 5° l’abomination de notre misère; — 6° l’abomination de la désolation de notre misère. » Qu’un orateur rapide et véhément distingue, par des nuances dans le début, ces gradations au moins étranges, que son ton s’élève, que sa voix s’anime, que son geste se précipite, peut-être ces froides catégories ne me paraîtront-elles qu’un moyen de me rendre attentif dont je saurai gré à l’orateur; mais si j’ai à les lire, tant de soin pour me diriger me fatigue; les divisions, au lieu d’éclaircir la pensée, la dissipent; l’éloquence est étouffée sous l’appareil oratoire, et le discours trop divisé tombe en poussière.

Dirai-je aussi que la dialectique, dont l’effet est si grand du haut d’une chaire ou d’une tribune, d’où elle semble jeter sur l’auditoire comme un filet invisible, en face d’un lecteur tranquille qui en suit froidement les déductions, ne paraît le plus souvent qu’un procédé spécieux plus propre à faire tort à la vérité qu’à la servir? Je me défie de la dialectique, quand je vois tout le moyen âge enchaîné au syllogisme et l’esprit humain tournant sur lui-même pendant des siècles dans le cercle étroit d’une vaine méthode d’argumenter. C’était le tour d’esprit à la mode; les gens médiocres en tiraient du crédit; les vrais penseurs y laissaient la proie pour l’ombre. Si la vérité importe plus que le chemin qui nous y mène, je préfère un libre mélange de raisonnemens et de sentimens qui me persuade à ce filet d’une argumentation en forme qui sans cesse veut me prendre et me manque toujours. J’entends pourtant vanter les logiciens, mais je cherche quelles gens ils ont pu convaincre. Le premier des logiciens, Pascal, ne vient pas à bout de nous par ses invincibles syllogismes. Sa vraie puissance est dans son éloquence passionnée, et sa victoire, c’est de nous accabler du sentiment de nos misérables lumières.

Les sermons de Bourdaloue, sans l’action de l’orateur, sans la méthode, perdent encore, pour nous qui les lisons, l’effet des hardiesses fameuses de sa morale et de la généreuse audace de ses allusions. Cette censure des grands désordres dans de grandes conditions ne nous atteint pas dans notre obscurité et dans nos passions, bornées comme notre vie. Nous pourrions en être touchés comme de