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la vérité d’une peinture historique; mais il y aurait fallu un pinceau plus vigoureux que celui de Bourdaloue. Il s’en faut en effet que sa parole soit aussi hardie que son sentiment. Ses peintures n’ont été vraies que pour ceux qui pouvaient les compléter; quant aux allusions, elles nous échappent. Il y faudrait une clé; encore cette clé pourrait-elle bien ne nous apprendre qu’une chose, c’est que le sermon a été plus timide que l’histoire. Quand on lit les Caractères de La Bruyère, vainement vous offre-t-on une clé; c’est ce que je lis qui vit, et quel intérêt ai-je à chercher sous ce portrait qui vit l’original qui a cessé de vivre? L’allusion d’ailleurs, dans la Bruyère, est une création; c’est une personne. Dans Bourdaloue, ce n’est qu’un peu de scandale généreux qu’autorisait la sainte liberté de la chaire. L’allusion ne va pas au-delà d’une indication; mais c’était assez pour l’effet. Des types généraux, tracés par la main d’un La Bruyère, eussent moins réussi que des esquisses, même faibles, de personnes connues, en présence d’un auditoire qui était dans le secret et où chacun en craignait autant pour lui-même. A la lecture, tout cet effet d’allusion disparaît; les esquisses n’étant plus pour nous des indiscrétions inattendues et redoutées, nous leur faisons un tort même de la charité qui a retenu le crayon du peintre.

Je ne m’étonne donc pas de l’espèce d’oubli où tomba Bourdaloue après ce grand éclat de ses prédications. Du temps de Mme de Sévigné, on allait en Bourdaloue; l’homme était comme une institution, comme une église à lui seul. Sitôt que la mort eut fermé cette bouche éloquente, ses sermons furent négligés. On oublia Bourdaloue pour Massillon, qui le remplaça bientôt dans cette chaire, à peine vide un moment, où se renouvelaient pour les besoins religieux de Louis XIV les grands orateurs, de même que les grands poètes s’étaient succédé pour ses plaisirs, les grands généraux et les hommes d’état pour ses affaires. Il ne reste du Bourdaloue que l’écrivain excellent, et fort à étudier, quoique de second ordre; il reste le plus abondant et peut-être le plus judicieux de nos moralistes.

Toute la morale chrétienne est dans ses sermons, soit la partie qui prescrit la règle, soit celle qui caractérise les infractions. Pour cette dernière en particulier, il en avait appris la science dans la longue pratique de la direction des âmes, où il était si recherché et si habile. Employant quelquefois jusqu’à six heures par jour aux confessions, et attirant à son tribunal les petits et les grands, les riches et les pauvres, dans l’égalité de la pénitence, toutes les prévarications humaines lui avaient dit leur secret. Il n’y ajoute rien du sien. Il semble qu’il ne se croie pas le droit de commenter les aveux, d’en tirer des suppositions qui pourraient être d’involontaires calomnies, et qu’il répugne à sa conscience si droite et si