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Prusse aux étreintes de Napoléon pour la jeter aux pieds du tsar, ce n’était point détruire le mal, mais simplement le déplacer, et qu’une médiation officieuse et pacifique, exercée simultanément par l’Autriche et par la Prusse, eût mieux valu pour l’Allemagne que l’intervention violente et armée de la Russie.

Stein et York, serviteurs dévoués de la même cause, mais la servant d’une manière très différente, présentaient le plus étrange contraste. Stein ne voyait de salut pour son pays que dans la régénération sociale et dans l’excitation patriotique des classes moyennes et inférieures ; York au contraire, esprit méthodique et contenu par le respect de la règle et de la discipline, considérait comme un danger l’appel aux passions de la multitude ; il ne plaçait la force de son pays et du trône que dans le dévouement de l’armée et le perfectionnement des institutions militaires. Stein n’avait pas cru faillir à ses devoirs en mettant sa personne, son génie, ses passions, au service du tsar. York, même en séparant, sans y avoir été autorisé, son drapeau de celui de l’allié de son souverain, n’avait pas cessé de rester le sujet le plus respectueux et le plus soumis. Il n’admettait pas que personne, le baron de Stein moins qu’aucun autre, se crût le droit de faire, dans une province prussienne, au nom d’un souverain étranger, ce souverain fût-il le tsar, des actes, attributs essentiels de l’autorité royale.

Du contact de ces deux hommes si dissemblables devaient nécessairement surgir les conflits d’autorité les plus violens. Stein, par ses actes d’omnipotence, blessa les susceptibilités les plus légitimes. York lui fit des remontrances et les lui fit avec l’amertume naturelle de son humeur. Le fougueux Stein ne s’en montra que plus impérieux. Il leva, dans les ports de la province, le blocus continental, fit un emprunt de 500,000 thalers, et décréta le cours forcé du papier-monnaie russe. À l’occasion de ces mesures, Stein et York éclatèrent. Un jour Stein s’emporta au point de s’écrier qu’il ne restait plus aux Russes qu’à recourir aux armes. « Eh bien ! soit, lui répliqua York avec une froide énergie, je ne demande pas mieux, j’accepte le défi ; je laisserai sonner la charge, et vous verrez ce que je ferai de vos Russes. » Puis il s’éloigna en proie à la plus douloureuse émotion. Sa situation était affreuse. Compromis par la convention de Taurogen, désavoué par le roi, trahi par les Russes, qui, au mépris du texte et de l’esprit de cette convention, refusaient d’évacuer et de lui rendre Memel, qui était une possession du roi, en lutte ouverte avec le commissaire du tsar, dont les armées couvraient le pays, il n’imaginait plus d’autre voie de salut honorable pour lui que de se jeter dans un navire et de chercher un refuge en Angleterre. Le président Schœn dut intervenir. Il montra au général des lettres de Berlin qui le rassurèrent sur les secrètes intentions du roi ;