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Certes c’est là un crime isolé autant que crime puisse l’être. Il n’a aucun lien avec la religion, et il n’a rien non plus de politique heureusement. Ce serait peut-être une erreur cependant de le séparer entièrement de l’époque où il peut se produire. Supposez l’action d’une atmosphère morale irritante, l’esprit de contention se glissant jusque dans le clergé, la haine des supériorités légitimes, des ambitions trompées, l’absence de respect née de l’habitude de tout diffamer, de tout déconsidérer : tous ces fermens couvent dans l’ombre ; un jour le crime éclate, d’où est-il venu ? C’est à coup sûr le fait d’un fanatisme pervers sans instigateurs et sans complices, et la société se hâte de rejeter avec honte de son sein l’être malfaisant qui a saisi le poignard, la justice accomplit son œuvre ; mais en même temps, à la lumière de ces actes sinistres, quand ils surgissent, la société peut se demander comment ils naissent, comment ils sont possibles, et alors elle sent un secret, un inexprimable besoin de voir se resserrer tous ces liens de la vie morale qui n’ont jamais sans doute assez de force pour empêcher toutes les violences, qui contiennent du moins les mauvais instincts et diminuent le nombre de tous ces êtres flottans et déclassés qui commencent par le désordre pour arriver jusqu’au vice ou au crime.

Ce triste et douloureux dénouement de la vie d’un des chefs de l’église de France, voilà donc l’événement qui a pesé tout à coup sur la conscience publique au moment où s’agitaient encore les plus graves et les plus épineuses questions de politique européenne. Deux affaires principales, comme on sait, restaient en suspens il y a quelques jours : il s’agissait du règlement définitif des difficultés soulevées par l’exécution du traité de Paris et des complications, un instant menaçantes, nées entre la Suisse et la Prusse au sujet de Neuchâtel. Depuis que la conférence était réunie pour rétablir l’intelligence entre les cabinets qui ont signé la dernière paix, on ne doutait point, il est vrai, du résultat de ses délibérations ; mais tant que ce résultat n’était pas inscrit dans de nouveaux actes diplomatiques, tant qu’il n’avait pas reçu la sanction définitive des gouvernemens, il ne pouvait être connu avec précision. D’un autre côté, toutes les raisons politiques s’élevaient assurément contre la possibilité d’une guerre entre la Prusse et la Suisse ; seulement le terrain de la conciliation semblait se rétrécir chaque jour à un tel point qu’il restait à peine le temps et les moyens de détourner un conflit. Or il est arrivé ici ce qui arrive souvent dans la politique comme dans la vie. À mesure qu’on s’est approché de ces difficultés, on a mieux senti de toutes parts la nécessité d’un dénouement pacifique, et l’Europe voit aujourd’hui s’évanouir ces nuages qui ne laissaient pas d’inquiéter sa sécurité. La conférence en effet a terminé ses travaux, et de toutes ces divergences qui avaient rendu si pénible, si problématique même un instant l’exécution du traité de Paris, il ne reste qu’un souvenir. L’arrangement qui a été conclu résout chaque difficulté. Il attribue les points contestés, Bolgrad et Tobaic, à la Moldavie, et il assigne à la Russie la vallée de Komrat avec un territoire assez étendu sur la rive droite de la rivière de Yalpuk. L’île des Serpens est considérée comme une dépendance des embouchures du Danube, et le delta du fleuve rentre sous la souveraineté directe de la Turquie. Enfin la délimitation des frontières suivant les prescriptions nouvelles devra être achevée le 30 mars prochain.