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tion de l’individualité italienne dans le monde. L’auteur du Primato, on n’en peut douter, était un esprit éminent, d’une vive et forte originalité, plein de ressources. Par malheur aussi, il mêlait fort souvent la subtilité à la vigueur, les pussions d’une personnalité irascible aux bonnes raisons, et la chimère à la grandeur des idées. Il était plus spéculatif que pratique, et lorsqu’il a été sommé par les événemens de mettre la main à l’œuvre, il n’a pas trop réussi, comme on sait. Ses idées sur l’église n’auront point sans doute une grande fortune là où il aurait désiré qu’elles fussent entendues et accueillies. Déjà l’un de ses plus anciens et de ses plus ardens adversaires, un jésuite napolitain, le père Curci, est revenu au combat contre ses œuvres posthumes, et en particulier contre la Riforma cattolica. Qu’on songe cependant que ce philosophe, ce prêtre a eu de véritables triomphes en Italie, qu’il a été plus d’une fois reçu avec affection par le pape lui-même, et que ses œuvres ont eu une popularité immense jusque dans Rome. Les temps ont singulièrement changé, cela est certain. L’auteur du Primato, quant à lui, s’est laissé plus d’une fois entraîner depuis cette époque par l’esprit de système, et, en croyant n’être qu’un réformateur, il a été souvent très près de devenir un révolutionnaire. Malgré tout, au milieu de cette foule d’idées que Gioberti a semées à la hâte dans sa courte vie de penseur, il en est une qui a fait sa gloire à l’origine, qui conserve toujours sa justesse et sa puissance : c’est que l’Italie ne peut trouver qu’en son propre sein le secret de sa libération et de ses progrès, et qu’elle doit tout d’abord penser par elle-même avant d’agir par elle-même.

N’est-ce point là, en effet, que tout doit tendre au-delà des Alpes, dans les lettres et dans les arts comme dans la politique ? La forme importe peu ; i’essentiel est de s’inspirer de la pensée nationale, d’exprimer le véritable état moral de cette brillante race, de peindre la vie italienne dans ses nuances diverses. C’est là le mérite et l’attrait de toute littérature nouvelle en Italie ; c’est le meilleur moyen de renouer ces traditions qui se sont prolongées jusqu’aux dernières révolutions, et qui se sont trouvées brisées tout à coup en 1848 par des événemens qui ont dispersé tous les groupes et détourné tous les esprits. Aujourd’hui le roman italien cherche à renaître, et on pourrait rapprocher des essais de plus d’un genre où se révèle le travail des imaginations. L’un des plus jeunes écrivains de Turin, M. Vittorio Bersezio, est un inventeur habile, un conteur ingénieux qui avait publié déjà, il y a deux ans, un recueil de récits, le Novelliere contemporaneo, et qui vient de mettre au jour successivement de nouvelles histoires telles que la Famiglia, Virtu ed Amore, Amor di patria. M. Bersezio a surtout, il nous semble, l’heureuse pensée de se soustraire à l’imitation des romans français : il cherche à ressaisir l’ancienne forme des conteurs italiens, mais en même temps c’est la vie moderne qu’il peint ; c’est dans la vie moderne que sont pris les caractères, les mœurs, les sentimens qu’il reproduit. M. Bersezio saisit avec promptitude, il observe avec finesse, il raconte avec élégance, dans une langue vive et colorée. Une idée morale anime ses récits, elle est comme le nerf de l’action. Dans la Famiglia, l’idée morale jaillit du double spectacle de la vie mondaine et de la vie de famille. Ici c’est un jeune homme livré aux plaisirs, oublieux des siens, tout enivré par les frivolités corruptrices ; là c’est la famille, la vie simple, l’amour vrai, le dévouement obscur. Qu’est-ce qui l’emportera ? Ce sera la famille ; mais l’épreuve aura été nécessaire, et l’épreuve