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des alliés eût très certainement accéléré leur mouvement de retraite, avancé pour nous l’heure de la victoire et diminué le nombre des victimes ; mais ce général n’avait reçu aucun ordre d’agir : il n’osa prendre sous sa responsabilité l’initiative d’une manœuvre offensive, et mécontenta l’empereur, qui ne lui épargna point l’expression de son blâme.

La victoire que nous venions de remporter était un événement considérable : elle réhabilitait l’honneur de nos armes, trempait le cœur de nos jeunes soldats, nous assurait la possession de la ligne de l’Elbe, raffermissait les dévouemens ébranlés de nos alliés et retenait l’Autriche hésitante dans la neutralité. Ce succès toutefois nous avait coûté bien cher : nos pertes, surtout en blessés, étaient immenses. Le 3e corps avait perdu 19,655 hommes, dont 2,757 tués ; le 11e corps, 2,000 ; la garde et le 6e corps, 3,000. Le chiffre total de nos pertes s’élevait ainsi environ à 25,000 tués et blessés. La division Souham n’était plus qu’un débris. Les alliés avaient perdu plus de monde encore que nous ; mais ils avaient déployé, surtout les Prussiens, une fermeté et un élan inconnus dans les dernières guerres. Bien que vaincus, sensiblement affaiblis, ils n’étaient point rompus, et ils se retiraient en bon ordre, ne nous laissant pour trophées que les débris fumans des villages que les deux armées s’étaient disputés avec tant d’acharnement.

Jamais le manque de cavalerie ne se fit plus douloureusement sentir à une armée victorieuse. Si nous avions disposé de nombreux escadrons, nous eussions poursuivi l’ennemi sans relâche : nous l’eussions atteint et de nouveau frappé au passage de toutes les rivières qu’il avait à traverser, et nous l’eussions réduit à nous demander la paix ou à se retirer en déroute sur la Vistule.

C’est sur le champ de bataille même de Lutzen que Napoléon reçut la dépêche par laquelle M. de Narbonne l’informait du dernier entretien qu’il avait eu avec l’empereur d’Autriche. Il jugea que son ambassadeur s’était montré trop vif, et il le lui témoigna. Par ses ordres, le duc de Vicence écrivit le 4 mai de Pegau à M. de Narbonne : « Sa majesté est convaincue qu’à Vienne l’on ne voulait que gagner du temps ; nos succès de Lutzen nous ramenaient forcément cette cour. Aujourd’hui c’est plus difficile. Cette puissance vient de faire un premier pas hors des voies de l’alliance. Sans doute cette explication précipitée a un avantage, celui de nous dégager de tous liens avec l’Autriche ; mais l’empereur aurait préféré que votre réserve lui eût épargné un faux pas. Bornez-vous pour le moment à tout observer et à tout mander. Nous avons 1,200,000 hommes sous les armes. La prétention de proposer et de faire accepter une médiation armée est trop ridicule pour que l’empereur d’Autriche ne le comprenne pas, car, il faut le dire net, c’est vouloir