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était tout à l’heure près de moi ! » Le grand-maréchal fut transporté dans une maison du village de Mackersdorf. L’empereur s’y rendit, et là il se passa une scène déchirante. L’émotion de l’empereur était très vive, et Duroc, se sentant mourir, n’avait que des paroles d’affection et d’attendrissement pour l’ami dont il allait être à jamais séparé. Il eut le courage sublime de lui demander de s’arracher de ses bras et de retourner près de ses soldats. Napoléon embrassa une dernière fois son cher et fidèle compagnon d’armes, et sortit le cœur brisé de douleur.

Duroc est, après Desaix, l’homme que Napoléon a le plus aimé. D’autres ont eu des qualités plus brillantes, ou lui ont rendu des services plus éclatans : aucun n’a porté à sa personne un attachement plus désintéressé et plus profond. Discret sans froideur, délié et ouvert tout ensemble, d’une noble simplicité dans ses manières, plein de droiture et de modération, trop modeste pour se croire le droit de donner des conseils, trop dévoué néanmoins pour se taire lorsque sa conscience lui commandait de parler, il fut constamment pour l’empereur un ami bien plus qu’un courtisan, et, sans y prétendre, il avait pris peu à peu sur son souverain, un ascendant que nul, avant ni après lui, n’a égalé.

La ligne naturelle de retraite des alliés était sur l’Oder ou sur la Haute-Vistule : en suivant l’une ou l’autre de ces directions, ils maintenaient leurs communications soit avec la Prusse, soit avec la Russie ; mais, au lieu de se retirer vers le nord, ils gagnèrent la Haute-Silésie, et restèrent constamment en contact avec la frontière septentrionale de la Bohême, découvrant ainsi Berlin, Kalisch, Varsovie, les lignes de l’Oder et de la Vistule. C’était se mettre entièrement à la merci de l’Autriche. Il y avait là pour nous une sinistre révélation. Comment désormais douter que le pacte fatal entre les alliés et cette puissance ne fût, sinon conclu, du moins bien près de l’être ? Le 23, l’armée française passa la Neiss à Gœrlitz, la Bober le 25, et la Katzbach le 27. L’ennemi ne tenait nulle part ; rivières, fleuves, montagnes, les plus belles positions défensives, il négligeait tout pour échapper au danger d’une nouvelle bataille et se serrer contre la Bohême. L’empereur Napoléon arriva le 27 à Lignitz, s’y arrêta quelques jours, et, divisant l’armée en deux grandes colonnes, dirigea celle de gauche, conduite par Ney, Lauriston et Régnier, sur Breslau, tandis qu’avec le reste de ses corps il se porta sur Schweidnitz.

Les commissaires choisis pour négocier l’armistice se réunirent d’abord à l’abbaye de Wahlstadt, près de Lignitz, et échangèrent leurs pleins pouvoirs. Les instructions des commissaires russe et prussien portaient que l’empereur de Russie et le roi de Prusse avaient consenti à un armistice « pendant lequel la puissance médiatrice ferait connaître