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étaient trop loin encore pour engager la lutte avec le vice-roi. Ces deux considérations, à défaut d’autres, eussent suffi pour imposer à Frédéric-Guillaume une grande circonspection : il en était d’autres non moins graves qui lui conseillaient d’ajourner sa déclaration.

Avant de se précipiter dans une guerre à outrance qui allait mettre en question l’existence même de sa couronne, le roi de Prusse voulait savoir d’abord s’il pouvait compter sans réserve sur le concours des forces de la Russie, puis comment cette puissance entendait compenser, en faveur de la Prusse, les agrandissemens considérables de territoire qui allaient lui échoir par l’effet de la conquête du grand-duché de Varsovie. Le roi ne pouvait se dissimuler que, si la Russie s’avançait jusqu’à l’Oder ou même jusqu’à la Wartha, elle ne serait plus qu’à quelques marches de sa capitale découverte. Quel serait désormais le sort de ses possessions, qui s’allongeaient démesurément le long de la Rai tique entre la Vistule et le Niémen ? Devenues de véritables enclaves de l’empire moscovite, elles ne seraient plus pour elle une force, moins encore un boulevard, mais une sorte de gage permanent de sa vassalité vis-à-vis de la couronne des tsars.

Le roi était décidé à ne rompre avec Napoléon qu’après s’être assuré, du côté de la Russie, toutes les garanties désirables, après avoir discuté et arrêté avec elle toutes les conditions de sa nouvelle alliance. Les informations qu’il recevait du camp de l’empereur Alexandre étaient de nature à l’affermir dans cette politique prudente et réservée. Les opinions y étaient très divisées. Les uns, qui constituaient une sorte de parti allemand dont le baron de Stein était le chef et l’organe éloquent, s’attachaient principalement à développer cette idée, que la suprématie de Napoléon reposait sur l’organisation qu’il avait donnée à l’Allemagne, que la plupart des gouvernemens germaniques, fatigués du joug, n’attendaient que l’assistance de la Russie pour s’en délivrer, et que leurs peuples étaient plus impatiens encore de se soustraire à la commune oppression. « C’était donc en Allemagne qu’il fallait frapper la puissance de Napoléon et la frapper sans retard. L’Allemagne, morcelée comme elle l’était et divisée d’intérêts, était hors d’état de se délivrer toute seule ; l’occasion pour la Russie n’avait jamais été plus belle : si elle la laissait échapper, peut-être ne la retrouverait-elle plus. Il n’y avait pas à compter sur l’Autriche ; si la sécurité était pour elle à ce prix, elle s’humilierait plus bas que tous les autres. Maître absolu de l’Allemagne, Napoléon serait de nouveau un danger flagrant et incessant pour la puissance russe ; tôt ou tard il finirait par lui arracher les possessions polonaises. En embrassant au contraire généreusement la cause de l’Allemagne, en devenant le libérateur des peuples asservis, le vengeur de tous les ressentimens légitimes, le