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Telle est d’ailleurs la nature embarrassante de ce rare talent, que les malveillans peuvent être injustes à plaisir, tandis que les admirateurs ne peuvent accorder leurs louanges que sous conditions. Un panégyrique sans réserve des écrits de M. Michelet serait une insulte pire que la plus malicieuse critique, et rendrait un triste témoignage des facultés de celui qui l’aurait conçu. Je n’ai jamais lu une page de ses adversaires qui exprimât un jugement véritablement équitable sur cet écrivain, mais je n’ai jamais lu non plus un éloge de ses admirateurs qui eût une valeur bien sérieuse et qui fût autre chose qu’un compliment banal, Ses amis lui sont presque aussi nuisibles que ses détracteurs. — M. Michelet, disent ces derniers, est avide de louanges et n’épargne aucun moyen pour les obtenir. — S’il en est ainsi, il joue de malheur ; il n’y a pas de réputation qui doive moins de remerciemens à la presse ; il n’y a pas d’écrivain que ses panégyristes ou ses adversaires donnent moins envie de connaître. Heureusement ses livres sont là, ses livres qui parlent mieux pour ou contre lui qu’amis et ennemis ; on les ouvre, on lit, et on sort de cette lecture troublé, ébloui, indigné, ravi.

Indigné et ravi ! oui, les deux choses à la fois. Ce mot d’indignation a besoin d’être expliqué, et notre commentaire ne sera pas inutile, car il nous donnera la dernière raison du demi-silence qui depuis dix ans surtout accueille les productions du célèbre historien. M. Michelet a l’art de mettre en colère un grand nombre de personnes. S’il exaspère ses lecteurs, ce n’est pas tant par le fond de sa pensée que par mille petits détails, mille nuances insaisissables, et par le ton léger et dégagé avec lequel il s’exprime. M. Michelet : possède un triste don, privilège funeste des natures très nerveuses, lequel, consiste à trouver l’insulte qui va le mieux au cœur d’un homme, d’un parti, d’une caste sociale et à exprimer cette insulte avec le ton le plus blessant. L’insulte qui nous va le plus au cœur n’est pas celle qui s’attaque à notre nature apparente, mais à notre nature cachée ou celle qui s’empare d’un détail imperceptible et qui le grossit de manière à rendre ridicule l’homme le mieux doué, et à faire que, pour un instant au moins, on ne lui tiendra compte d’aucune de ses qualités. Autre détail à observer : plus l’insulte est inattendue, imprévue, paradoxale, et plus elle est blessante. Reprochez, par exemple, à un honnête bourgeois d’être honnête, ou à un duc et pair de ne pas représenter personnellement son titre, l’un et l’autre se riront de vous ; mais insinuez à votre bourgeois qu’il a raison d’être sévèrement honnête, parce que la qualité de son âme le condamne aux vertus maussades, ou à votre duc et pair qu’un aristocrate doit être un objet de luxe sous peine de ne pas exister et d’être moins que le plus vulgaire roturier : vous êtes sûr de blesser un point sensible