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Metz et qui gagna Calais à la France ? Henri le Balafré est peint relativement avec plus de justice ; néanmoins les défauts déplaisans de son héroïque et coupable famille y mettent trop dans l’ombre ses dons aimables et séduisans. Voilà pour les grands acteurs. Avec les acteurs secondaires, M. Michelet y met encore moins de façons et les traite avec un mépris familier et des épithètes grotesques dont le pamphlet seul pourrait s’accommoder, et ce ne sont pas seulement ses ennemis qu’il cherche à ridiculiser ou dont il montre avec passion les défauts secrets ; les personnages même qu’il respecte le plus n’échappent pas à sa verve maligne. Qui n’a deviné, par exemple, sur le visage du chancelier de L’Hôpital tout un monde de douleurs, la tristesse qu’inspire la vue du mal, l’impuissance de la bonne volonté, la lassitude, conséquence inévitable d’une vie d’épreuves et de chagrins ? Cette impression que fait éprouver la vue des portraits de L’Hôpital, M. Michelet l’a ressentie ; seulement il la traduit ainsi : « Le malheur et l’exil l’avaient fort aplati, au dehors seulement, car le cœur était admirable. » C’est se montrer bien rigoureux pour quelques actes d’une trop grande circonspection, et pour une certaine timidité de caractère que n’expliquent que trop d’ailleurs les violences du temps. Dans un autre passage, parlant des ducs d’Épernon et de Joyeuse, qui, à un moment donné, furent les uniques soutiens de la monarchie contre les factions, M. Michelet s’exprime ainsi : « Nous voilà donc venu à ce point de défendre Épernon, Joyeuse. Dans la faiblesse actuelle du petit roi de Navarre, en attendant qu’il grossisse et soit Henri IV, ces deux drôles, contre les Lorrains et le parti espagnol, se trouvent les gardiens de la nationalité. Confessons cet avilissement et cette extrême misère. » Le langage est un peu vif appliqué à des hommes que M. Michelet déclare les meilleures épées de leur temps, et qu’il justifie lui-même de certaines infamies que la tradition leur a toujours libéralement prêtées. D’un bout à l’autre de ses quatre volumes, ces boutades de langage, ces caprices de passion, ces outrages de pamphlétaire surabondent ; plaisanteries, bouffonneries, quolibets pleuvent sur tous les partis à la fois : catholiques, monarchiques, tiers-parti, politiques, protestans même ; c’est une Saint-Barthélemy générale de toute la France du XVIe siècle. Si M. Michelet a eu, comme nous l’avons reconnu, à se plaindre quelquefois de l’injustice des partis et de la critique (et il s’en plaint surtout dans une note très acerbe contre les doctrinaires), il doit reconnaître qu’en manquant lui-même de justice, il a dû provoquer bien des ressentimens.

Pour nous, qui savons aucune loi du talion à appliquer, et qui préférons insister sur les mérites d’un écrivain qui nous est sympathique, nous allons bien vite nous débarrasser des derniers reproches